Éclaircies
Les trombes d'eau qui se sont déversées n'ont épargné personne, laissant tout un chacun trempé. Après leur passage, il n'était plus question de se promener, mais de retourner chez soi se sécher et se changer, pendant que les rigoles d'eau se dévidaient de tous côtés, en une vidange d'un déluge que personne n'avait vu arriver. Les quelques gouttes qui perlaient encore des toitures et des fenêtres n'étaient là que pour rappeler que ces averses n'avaient pas été imaginées.
Il est étonnant de contempler ces rues et ces trottoirs vidés par ces intempéries, alors qu'ils grouillaient de gens et débordaient de vie quelques instants auparavant, en un véritable tour de magie. Le calme soudain imposé par ces nuages qui avaient libéré ce contenu qui leur pesait tenait du miracle donnant envie de l'appliquer à tout ce que l'on pourrait imaginer, dans un équilibrage radical d'efficacité. Ne demeuraient plus que les vestiges rincés par ce grand ménage d'humidité,
Les projets, les envies, les énergies ont été balayés par ce soudain changement du temps qu'il fait, en une radicale remise à zéro qui n'avait pas été anticipée. Il semblerait même que plus personne n'ose s’aventurer à quoi que ce soit, de peur que se renouvelle ce désagréable aléa. Ce qui était de l'ordre de la routine et du journalier s'est trouvé emporté par ces pluies pourtant banales, mais que personne n'attendait, comme si voir soudain l'inattendu qui dévale imposerait que tout le monde aille se planquer.
Si l'on observe le ciel, les couleurs sont encore de gris et d'étincelles, de celles qui jaillissent d'une lame polie pour la rendre plus belle. Le calme semble tout juste annoncé, même s'il n'est pas sûr qu'il puisse durer. La tension et la peur engendrées par ces précipitations insensées ont laissé une empreinte brutale dans l'atmosphère dégagée, en une sourde menace toujours prête à déferler. Personne ne paraît prêt à parier qu'une prochaine vague ne va pas déferler, un rappel de la fragilité de chacun face à la Nature déchaînée.
Entendre le bruit des gouttes qui tombent sur le plancher, et réaliser qu'une partie de la toiture s'est envolée ; fermer la fenêtre par sécurité, et voir que les vitres ont explosé ; saisir la porte pour la repousser, et se rendre compte qu'elle est dégondée ; pour tous, le passage de cette calamité a provoqué des conséquences dont l'ampleur commence seulement à être mesurée. Écoper, essuyer, sécher, décaper, réparer ; les tâches ne manquent pas pour s'efforcer de colmater les dégâts que les vents, la pluie et ce tourbillon que pas un n'a vu arriver ont entraîné, machine naturelle à tout dévaster.
Ce constat de catastrophe avérée, ni envisagée ni annoncée laisse chaque lieu et chaque être face à qui il est et ce qu'il peut être, à présent que tout a été balayé en n'épargnant que la plus stricte intimité : notre corps, nos envies, nos idées, et laminant tout ce qui ressemble de près ou de loin à la sécurité. Il n'est plus de certitude maintenant que la vie a démontré qu'elle pouvait reprendre tout ce qu'elle a donné, sans préavis, sans raison, juste parce qu'elle en la capacité.
Le stress et la tension cumulés ont imposé de faire des choix face à l'impossibilité de sauver tout ce qui était là, mais ont aussi permis de faire un tri entre ces relations qui ne tiennent que par dépit, pour prendre une place vacante ou en imposer une envahissante, et celles qui ont offert cette attention bienveillante, cette aide gratuite que l'on n'osait pas demander, en un baume sur notre cœur blessé, en une musique apaisante pour notre esprit effrayé.
Prendre conscience de la vitesse à laquelle cela s'est imposé rend presque relative la cause de cette révélation sidérée, ce déluge qui a non seulement détruit, mais aussi nettoyé toutes ces ombres qui encombraient notre vie, qu'elles soient de chair ou de débris, pour faire place nette et ne plus donne prise à une lutte sans répit, où l'on portait tout ce qui ne nous appartenait pas, jour et nuit, dans un perpétuel combat afin d'essayer de continuer de progresser dans cette vie.
Regarder notre foyer détruit, acter la débandade de notre famille, nos amis n'est ainsi plus aussi choquant que cela paraissait lorsqu'est tombée la certitude que tout était fini, que cette catastrophe, somme toute banale, avait fait plus de bien que de mal, en mettant en lumière tous ces hypocrisies délétères, ces mille et un mystères, ces mesquines rapines que l'on subissait des journées entières sans réaliser combien l'on s'épuisait face à ces parasites sans intérêt.
Dans les ruines de ce qui paraissait encore il y a peu d'une sécurité divine, il n'est plus si grave de ne pas saisir la raison de cette crise, de ce drame, mais au contraire de voir que sont en train de sécher les larmes, du ciel mais aussi personnelles, comme si l'on s'apposait un paisible baume, un mystérieux charme, alors que tout semble bien loin d'être calme ; mais l'important n'est plus maintenant ce qui risque d'arriver, mais bien la façon dont on choisit de le traverser.
Tout ce qui nous entourait jusqu'à présent ne semble plus si important, ces objets que l'on chérissait paraissent datés, ces photos que l'on gardait, fanées, ces liens que l'on tissait, surannés. Il devient soudain évident qu'il n'est plus aucune raison de demeurer dans ce décor qui nous emprisonnait, sans tristesse ni regret, plus une surprise de ne l'avoir pas anticipé, tant l'évidence ne cesse maintenant de nous interpeler, en une révélation dont la simplicité fait enfin apparaître un sourire sur notre visage éprouvé.
Sortant de ce champ de bataille trempé, lessivé, rincé, il est pourtant une joie que l'on sent monter, celle d'avoir enfin accès à notre liberté, loin des faux-semblants, des vestiges d'un passé qu'il n'est pas besoin de renier, mais simplement d'abandonner, comme un vêtement trop serré qui ne faisait plus que nous étouffer. À voir le paysage constellé d'eaux et de reflets, il nous vient l'envie de l'explorer, sans plus de peur ni de doute déplacés, parce que l'on se sait enfin conscient d'une évidence avérée :
cette éclaircie que l'on voit pointer et faite pour durer, si l'on suit la lumière qu'elle fait rayonner.
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