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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Créativité

Dernière mise à jour : 29 août 2023


Créativité - Laurent Hellot

La feuille reste blanche, et les crayons rangés. À peine a-t-elle retroussé ses manches que la petite fille a renoncé, tout d'un coup plus intéressée par un oiseau qui passait que par le chef d’œuvre qu'elle s'apprêtait de coup sûr à créer. Se ruant vers la fenêtre, l'enfant s'ébaudit du vol de cette toute petite bête, ainsi que devant une créature mythique qui lui aurait fait la fête. Le temps passé à la chercher, après qu'elle s'est planquée dans les fourrés rajoute à l'excitation de la situation et envoie très, très loin la réalisation du dessin et de ces ambitions d'en faire un souvenir pour demain, quand le corps et le cœur en auront besoin.

Maintenant que le volatile est caché et qu'il devient clair qu'il ne repointera pas le bout de son museau emplumé, la petite fille part en quête d'une nouvelle aventure à explorer, qui ne soit clairement pas limitée à un stylo et un papier. Si son envie de dessiner ne s'est pas évaporée, la vision d'un animal en trois dimensions a rendu le présent beaucoup plus empli d'émotions et de pétillements de tous côtés. Alors autant s'y plonger, ce qu'elle fait avec une gourmandise assumée, puisque le monde semble enclin à l'y accompagner, offrant des surprises de tous les côtés ; la voici qui prend la direction du jardin sans hésiter.

Descendant une à une les marches de l'escalier, elle part dans la quête des trésors à dénicher, peut-être un écureuil qui lui fera la fête ou une fée avec qui danser ? La question n'est pas de se demander si elle va trouver quoi faire, mais bien de trier entre tous les choix de la Terre. Qui pourrait douter que la vie soit pleine de cadeaux à accepter ? Pas elle, en tous les cas, qui se met à courir vers le murier, attrapant avec précaution le fruit précieux, pour ne pas se tacher, et surtout savourer le jus sucré qui pétille dans son gosier.

Cette envie indispensable rassasiée, la petite fille s'en va voir au fond de l'étable ce qui pourrait encore s'y trouver. Ce matin, elle a certes vu que la vache et son veau avaient été menés au pré, mais, qui sait, il se peut que se présentent d'autres opportunités ? De fait, en franchissant la porte, elle est accueillie par une poule qui lui caquette au nez, furieuse d'avoir été ainsi dérangée et désireuse qu'on lui fiche la paix. Il n'en faut pas plus pour qu'elle éclate de rire et lui court après, dans l'espoir de lui voler une ou deux plumes, voire un œuf à déguster en coquetier.

Le gallinacé s'est finement carapaté, en dépit des efforts de la petite fille pour le courser. Il faut dire qu'elle a un sacré avantage que l'on ne peut pas nier : deux ailes pour décoller ! Alors que pour la petite, il faudra se contenter de ses pieds, même si elle a fait l'effort de sauter jusqu'en haut du grenier, dans les bottes de foin et les toiles d'araignée, en une exploration digne d'un aventurier. Elle était déjà venue là, mais accompagnée, et se retrouver seule, presque sous les toits est une sacrée victoire, à n'en pas douter. Il est donc juste de la savourer, et de s'allonger tout du long sur la paille séchée.

Les yeux sur les poutres noircies, la petite fille se redresse soudain lorsqu'elle aperçoit un nid, et entend des petits gazouillis. Toute à son excitation d'avoir déniché le repaire d'oisillons, elle regarde autour d'elle si elle ne pourrait pas trouver une échelle. Elle a beau ne pas être si petite que cela, elle n'arrive pas à les toucher, même en tendant les bras. Il lui faut donc un minimum d'extension pour atteindre ces petits lurons ; mais après une minutieuse exploration, elle ne déniche qu'un vieux tabouret tout de biais, de piètre utilité pour ce qu'elle entendait tenter.

Renonçant à sa tentative d'aller saluer ces minuscules compagnons ailés, elle redescend de là où elle était monté, ce qui n'est pas plus mal pour sa santé ! La revoici au niveau où tout est permis, sans risquer de se retrouver dans un lit, avec une infirmière à côté. Naviguant entre les établis, elle cherche de nouveau ce qui pourrait l'intéresser, pile poil à l'instant où une petite souris vient se manifester et la narguer, avant de disparaître aussi vite qu'elle a pointé son nez, laissant la fillette tout autant excitée que désappointée par cette rencontre avortée.

Qu'à cela ne tienne, voici l'enfant qui s'accroupit et se met à retourner caisses et objets, dans l'espoir de découvrir où le facétieux rongeur a été se cacher, que ce soit pour jouer, manger ou se carapater ; mais après avoir exploré l'ensemble de l'atelier, elle doit se rendre à l'évidence : la souris est partie d'un trait et ne sera pas sa nouvelle amie de la journée. Il lui en faut cependant plus que cela pour se décourager, et se remettant sur ses deux pieds, elle poursuit sur le chemin qu'elle n'a de cesse d'inventer, en jalons qui, peu à peu, construisent ce qu'elle n'avait pas imaginé.

Sortant du bâtiment, elle prend cette fois la direction d'un champ, vaste étendue d'herbes et de fleurs aux reflets changeants. Arrivée devant un portail, elle passe bien sûr par dessous, en faisant attention à ne pas salir ses vêtements. Fière de son exploit d'acrobate, elle poursuit en sautillant, en direction d'un petit étang. Il faut dire qu'elle le connaît parfaitement, pour avoir déjà été patauger dedans. La question n'est ainsi pas de savoir ce qu'elle va y faire, mais comment le lieu va se débrouiller pour la faire décamper sans l'effrayer !

Arrivée au bord de l'eau, la petite fille se penche et regarde son reflet avec des contours rigolos, s'amusant à faire des grimaces, ressemblant tantôt à un troll ou à une limace, en autant de figures qu'elle se l'autorise là, en cet endroit où personne ne vient lui dire qu'elle ne doit pas. Après tout, elle ne voit pas l'intérêt d'être jolie toute la journée ; cela n'a rien de drôle et finit par l'ennuyer. À se voir ainsi, toute verte ou toute dorée, immobile ou déformée, elle se dit que cet étang est vraiment épatant, à lui permettre d'inventer qui elle est.

Tout d'un coup lassée de s'autoscruter, elle se redresse et regarde une libellule voler, insecte vorace aux couleurs irisées, dont les volte-face sillonnent la surface d'une multitude de pointillés. Ses circonvolutions donnent l'impression d'une danse au sein d'une musique sans le son, si ce n'est le bruissement des feuilles sur les berges ombragées. Le souffle de ce vent donne d'ailleurs à la petite fille une idée : celle de saisir une branche tombée et de l'agiter, comme si elle menait à la baguette tout ce petit univers qui l'entourait, en chef d'orchestre improvisée.

Et soudain, son ventre se met à gargouiller. Ni une ni deux, la petite fille repart aussitôt d'où elle était arrivée, soudain pressée de revenir dans cette maison qu'elle a quittée. Tout en galopant vers la sortie désignée, elle lève les bras en riant de son improbable tournée, fière et heureuse de tout ce qu'elle a déniché. Et pendant qu'elle se goinfre de tartines à la confiture étalée, si les crayons et le papier n'ont pas bougé, il ne fait pas de doute que ce qui s'est créé est bien au-delà du concret : des souvenirs de bonheur pour toutes les années.


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