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Photo du rédacteurLaurent Hellot

En arrière

Dernière mise à jour : 4 déc. 2023


En arrière - Laurent Hellot

La vision qui s'offre est apocalyptique : un paysage de terres brûlées et de roches balsamiques, entre lesquelles serpentent des rivières de lave aux reflets fantastiques. Il y a pourtant un chemin qui le traverse, sinuant autant que faire se peut entre les gouffres béants et les tremblements qui ne cessent. Sur son tracé sont incrustées les traces de pas que l'on a posés, l'un après l'autre, sans arrêt, à la fois dans une exploration et une avancée au travers de cette dantesque situation.

Ce paysage n'a pourtant pas toujours été ainsi. Lorsqu'on le parcourait à l'époque, il semblait paisible et joli, de l'ordre de l'enchantement et de la joie infinie. Tout était nouveau et intéressant, avec la possibilité de tout oser à chaque instant. Nos ambitions étaient illimitées, à la hauteur de nos envies et de nos capacités, aptes à tout expérimenter et s'approprier. Ce monde était pures émotions et nouveautés. Nous étions l'aventurier à qui rien ne peut résister.

En dépit de notre enthousiasme permanent, il arrivait que de petites anicroches se manifestent de temps en temps ; une cheville qui se foule, une pierre qui tombe et qui roule, un orage qui déversait des trombes d'eau comme une houle, à charge pour nous de nous rétablir, d'éviter et de courir, de se sécher et de repartir. Tous ces aléas n'arrêtaient en rien l'énergie qui nous animait et vibrait de haut en bas, aimantant nos désirs et nos réalités, attirant les rencontres et la nouveauté.

Il est même arrivé que l'on se pose parfois, seul ou avec une compagnie qui nous va, pour un moment de réflexion, pour une pause actant une résolution, pour une volonté d'établir une construction. Ces jours et ces nuits d'introspection nous autorisaient enfin à profiter de l'occasion pour contempler autre chose que l'horizon, mais revenir à soi, prendre le pouls de notre cœur qui bat, partager avec l'autre qui est là, agrandir le décor à l'intérieur de nos bras, devenir autre chose qu'un courant d'air qui s'en va.

Ce répit ne durait cependant pas, en une sorte de bascule qui ne cessait jamais, quoi qu'il en soit, nous imposant de progresser, sous peine de finir par s'enterrer. Il ne s'agissait en aucun cas d'une fuite, plus d'un appel à aller découvrir la suite, une proposition à grimper au-delà des frondaisons, une incitation à se grandir au-dessus de son front, afin de ne pas laisser nos pensées tout dominer, mais poursuivre plus loin, ailleurs, ce qui a été commencé, et peut-être découvrir une nouvelle vérité.

Dans un élan de confiance, nous n'avons jamais renoncé, ne nous sommes pas contentés de nos lauriers, n'avons pas abdiqué, reprenant la route sans hésiter, avec certes parfois quelques regrets, mais pas au point de laisser tomber, juste assez légers à porter, mais d'un poids qui ne devait pas nous handicaper. La marche reprise n'avait plus le même rythme, mais cela n'était pas dramatique, une simple variation de tempo dans la musique, afin de reprendre cette danse si magique, celle de notre existence fantastique.

Comme pour nous rasséréner, d'autres aventures, carrefours se proposaient, en une multitude et une variété qui nous confortaient dans cette incitation à continuer, en une réassurance sur le fait que l'on ne s'était pas trompé, même si d'autres compagnons de route nous avaient lâchés, préférant, eux, le confort et la sécurité. Il en devenait d'ailleurs étonnant de réaliser à quel point ils étaient de moins en moins à choisir ce même chemin, comme si une sélection s'opérait, entre ceux prêts à vivre en totalité et ceux pour qui le monde s'est arrêté.

La prise de conscience de cette distance qui s'était installée n'était pas triste à appréhender, plus une surprise à considérer ; qui, après tout, accepterait de ne plus respirer, renoncerait à ses rêves incarnés ? Il n'était pas question de se considérer meilleur ou plus digne d'intérêt, simplement d'acter que chacun ne suit pas les mêmes tracés ; pour l'un, un sentier dans une verte contrée, pour l'autre une course vers les sommets, et pour l'autre encore, une alcôve dans un terrier. En ce qui nous concernait, rien n'avait été posé, sans que cela ne constitue une réelle volonté, plus un étonnement de créer quelque chose avec cette singularité.

Au travers de chaque pas que l'on marquait sur le sol que l'on foulait s’inscrivaient nos actes et nos paroles, en un sceau à jamais gravé. Leur succession dessinait une drôle de farandole que l'on n’avait pas imaginée. Et pourtant, ces dessins dans la terre imprégnaient, et notre corps, et la matière, comme des traces à l'envers, non pas en creux mais en résonance dans toute notre existence, multiples échos de nos victoires et de nos souffrances, indélébiles et intenses, diffusant encore et toujours leurs témoignages intenses.

Et sans y prendre garde, le passage du temps s'est fait de plus en plus présent, avec le sentiment de se retrouver pris dans un traquenard, une sorte de course sans fin où l'arrivée se décale de plus en plus tard, sans garantie même qu'elle soit quelque part. Cela n'a pas plus stoppé notre progression, au point où l'on en était, mais a rajouté une étrange vibration, une sorte de hiatus entre la réalité et nos perceptions. Ce que l'on traversait ne suscitait plus la même émotion, n'entraînait plus les mêmes réactions, avec un léger mais prégnant sentiment d'abandon.

Alors est survenu ce jour, celui où l'on a osé se retourner, pas forcément pour faire demi-tour, plus par curiosité de voir tout ce que l'on avait traversé ; et rien ne nous a préparés à ce qui s'est présenté : ces paysages de dévastation, ces territoires effondrés, la totale disparition de tout ce que l'on avait chéri en secret. Il n'était plus la peine de se leurrer : aucun retour en arrière ne pouvait être envisagé. Quoi que l'on ait expérimenté, cela ne pouvait plus exister, notre passage même l'ayant désintégré ; la seule issue était de persévérer, sans plus rien à porter, parce que rien ne peut être gardé.


Depuis ce jour-là, n’existe plus que ce que l'on a devant soi, juste à quelques pas, à toucher du doigt. Le reste s'est dissipé, et ce qui vient n'est pas encore né. Nous poursuivons notre marche délestés de nos illusions et de nos souvenirs passés, car rien ne peut mystifier notre condition révélée :


nous sommes le monde entier.

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