Hésitation
Dernière mise à jour : 1 janv.

Gauche ou droite ? Devant le carrefour qui se présente à lui, le voyageur sent un flot d'interrogations déborder ici, comme des diables d'une boîte, avec l'angoisse de ne pas prendre la décision adéquate. Il ne s'agit pourtant pas d'une question de vie ou de mort, mais d'un chemin pour arriver à bon port ; sauf qu'en l'état, le voyageur est terrifié d'avoir tort, ce qui ne fait aucun sens, car il ne s'agit pas de battre un record, mais simplement d'assumer sa direction sans remord.
Observant le tracé de gauche, le voyageur le voit s'enfoncer dans une forêt, ses méandres se perdant sous les futaies. Quant à celui de droite, il a l'air de prendre une direction plus en hauteur, vers ce qui ressemble à un sommet à la végétation haute en couleur. Ni l'un ni l'autre ne semblent enclins à l'égarer, proposant une alternative pour finir son parcours de cette journée ; mais encore faut-il se décider ! Et en l'état, le voyageur n'en finit pas de tergiverser, pour ce qui n'est, au fond, qu'une incitation à bouger ses pieds et qui semble prendre des proportions d'une situation mettant sa vie en danger. Il lui faudra pourtant bien trancher, à moins de vouloir planter sa tente ici et camper.
La nature autour contemple ce bipède avec une intrigante curiosité, là où le choix n'en est pas un, sinon de se laisser mener par ses envies, ses idées, son énergie, avec la joie de découvrir ce qui sera alors proposé, sans peur ni souci, juste accueillir ce que l'on n’avait pas anticipé. Pour le voyageur cependant, les tergiversations n'ont pas l'air de vouloir cesser, son esprit oscillant sous la multitude des analyses qui se cessent de fuser, des provisions nécessaires au trajet à accomplir avant que ne baisse la lumière, à l'estimation de l'effort à fournir pour découvrir ce qu'il y aura derrière ; et pendant ce temps-là, il ne bouge pas d'un iota.
D'un côté ou de l'autre, l'inclination n'est pas si difficile à suivre, pour peu que l'on se laisse vivre et renonce à vouloir tout analyser pour être sûr de ne pas se tromper ; mais en l'état du parcours, le voyageur n'a pas du tout envie d'un nouveau détour, même s'il n'est sûr de rien, encore moins du fait qu'il s'agit peut-être du bon chemin et que ce qu'il évalue comme des kilomètres en plus n'est peut-être rien de plus qu'un raccourci inattendu. Ses pensées n'en peuvent donc plus de sans cesse réévaluer ce qu'il avait planifié, anticipé, calculé, en se promettant qu'il ne va pas se tromper et se retrouver dans une situation dont il ne pourra pas d'extirper. L'intensité des cogitations le foudroient sur pied, dont le sentiment d'avoir à faire à un héron les pieds sédimentés dans les marais, et non un humain prêt à tout explorer.
Dépassé par ses doutes, le voyageur ne sait même plus s'il est sur la bonne route ou si cette bifurcation qui lui est imposée est le fruit d'un égarement auquel il n'a pas prêté intérêt. Reprenant carte et boussole, le voilà qui cogite et qui s'affole, retraçant pas à pas tout ce qui l'a conduit jusque-là, comptant, évaluant temps et campement, persuadé qu'une erreur lui impose ce dilemme auquel il n'était pas prêt à se confronter. Lui-même n'en revient pas de se retrouver à ce stade-là, tel un enfant hésitant devant un problème qui n'en est pas, et auquel il devra se confronter quoi qu'il en soit. Ce n'est pourtant pas son premier périple, et il a déjà connu des problématiques multiples, alors en quoi celui-ci serait soudain celui qui lui donne l'impression de se retrouver devant un abîme sans fin ?
Un léger vent commence à se lever, manière lui aussi d'indiquer qu'il serait temps de se mettre à bouger, et cette légère fraîcheur vient d'ailleurs apaiser le voyageur, comme si tout le stress qui montait d'un coup se dissolvait. Il n'en a néanmoins toujours pas résolu son équation basique, gauche ou droite, mais son esprit patine moins vite, presque calmé par cette inattendue fluidité. La survenance de cet air le remet dans la matière, arrêtant d'un coup cette espèce de panique qui le rendait fou pour une simple alternative face à laquelle il n'y a pas d'erreur décisive.
Se grattant la tête, le voyageur cesse de se demander où il peut-être, contemplant toute la beauté de ce qu'il a devant les yeux, le ciel, l’espace et lui à sa place. Le sentiment qui en ressort n'est pas d'être minuscule, au bord de l'inconfort, mais bien tout aussi central que ce soleil magistral, cette montagne phénoménale, ce tapis végétal ; à leur différence, il prend conscience qu'il a la liberté d'inventer son existence, qu'il n'est pas défini par sa toute-puissance ni contraint par ce que chacun attend de lui avec impatience. Il n'est pas là pour éclairer, pour guider, pour entourer, mais pour choisir qui il veut être, en totalité. Ce qu'il prenait pour de l'insignifiance vient de se renverser en une capacité de résilience, lui qui est capable de tout accueillir en pleine conscience.
Cette étonnante révélation n'est cependant pas ce qui lui fait monter le rouge au front. Ainsi, il lui aura fallu l'embarras d'une bête bifurcation pour qu'il accède à cette information, qui a toujours été présente cependant, depuis tout ce temps qu'il crapahutait au travers des monts et des champs. Le sentiment de domination, de maîtrise qui l'accaparait n'avait rien à voir avec l'essence de ses capacités. Le choix n'est pas de poser A+B=C pour se rassurer, mais d'inventer sa propre équation à expérimenter. Jusqu'à présent, le voyageur n'avait fait de mettre ses pas dans tous ces autres qui l'ont précédé, sans s'offrir le luxe de s'émanciper, par erreur, par faiblesse, par inconscience même que cela soit une possibilité.
Toujours entre ces deux chemins qui le narguent avec respect, le voyageur acte enfin qu'il est temps d'avancer. Cette fois, il ne prend même pas la peine de réfléchir : il regarde ce qui l'invite à venir le rencontrer ; cet oiseau qui apparaît sur la cime d'un arbre à côté, ou ce nuage qui apparaît à la lisière des sommets ? Le trille joyeux qui monte dans le ciel azuré lui donne l'indice qu'il avait envie d'écouter. Reprenant son baluchon, le voyageur prend la direction de ce chant qui s'amuse à le tenter, le reste n'ayant pas la plus petite importance à considérer ; et tandis qu'il avance sans plus se soucier, le voyageur sourit à sa liberté retrouvée.
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