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Photo du rédacteurLaurent Hellot

La rentrée

Dernière mise à jour : 19 sept. 2023


La rentrée - www.laurenthellot.fr

La fine pluie qui suinte sur la fenêtre ne donne pas envie de sortir de sous la couette, plus une invitation à débuter une hivernation, ce que paraît d'ailleurs prête à faire la petite fille sans hésitation. Dans son pyjama douillet, elle se sent parfaitement motivée à rester dans son lit pour le reste de la journée, avec la certitude de ne pas s'ennuyer, en exploratrice de sa chambre et de tous ses secrets, et ce avec la plus grande joie que l'on puisse imaginer. Il se trouve cependant que son réveil en a décidé autrement, à la manière d'un garde-chiourme énervant, ruinant son désir de rester ainsi tel un gisant et ameutant à coup sûr tous ces sbires qui ne vont pas manquer de lui enjoindre de se lever, à savoir papa et maman.


À peine a-t-elle esquissé cette pensée que déboulent des pas dans le couloir, annonciateur de ce qui devait arriver : l'obligation de se bouger. Un coup discret, mais ferme retentit sur la porte de la chambre à coucher, avec ces mots que la petite fille redoutait : « Il est l'heure de se lever ! »

Dans un sursaut de protestation, la petite fille entend faire celle qui n'a pas du tout entendu l'injonction, avec sur sa tête son épais édredon. Peut-être que sur un malentendu ou une distraction, ses parents vont partir chacun dans leur direction et la laisser au calme à la maison. Après tout, elle n'est plus un bébé et peut très bien se retrouver seule sans difficulté, se laver, se faire à manger, se distraire sans qu'il soit besoin de la guider. Ce serait d'ailleurs l'occasion de leur montrer combien ce rendez-vous journalier avec l'école est très surfait, limite dévoyé, pour elle qui n'a clairement plus besoin de maîtresse pour lui apprendre ce qu'elle a déjà de toute façon assimilé.


« Allez, ne fait pas l'endormie ! Je vois la lumière que tu as allumée ! »


Si elle se l'autorisait, la petite fille se mettrait à râler : quelle erreur de débutante, pour elle qui avait l'ambition de tous les amadouer ! En vrai, cela fait un sacré bout de temps qu'elle est réveillée et elle avait besoin de la lampe pour se rendre à la fenêtre et voir si le jour était déjà levé, avec le secret espoir que cette semaine soit celle avec plusieurs dimanches d'affilé. Elle y réfléchira à deux fois à la prochaine occurrence où il sera nécessaire de caler une stratégie pour prétendre que son lit est le meilleur endroit où elle se doit de passer la journée, en une évidence qu'aucun des adultes ici présents ne paraît prêt à écouter. Au mieux peut-elle gagner quelques précieuses minutes, avant de devoir céder ou qu'un humain énervé ne passe la porte avec une frénésie de s'agiter. Une remontée de la couette au-dessus de la tête fera très bien l'affaire, afin de savourer ce répit qu'elle décide de s'octroyer, non par rébellion caractérisée, mais parce qu'elle en a envie, sans hésiter.


« Debout ! Maintenant ! Ou je viens te chercher ! »

Là, clairement, il n'est plus temps de négocier. La petite fille repousse la couette et se met sur ses deux pieds, prête à un déferlement d'injonctions plus ou moins organisées, allant de : « Va t'habiller/te coiffer/manger », en passant par une série de questions intercalées, du style : « Tes devoirs sont faits/ton cartable est fermé/tu as bien pris ton goûter ? » Tant de sollicitations ne sont plus pour lui faire peur, chaque matin ayant depuis cette rentrée son lot d'urgences dont ces injonctions sont le vecteur. Elle ne demeure pas moins étonnée de leur pérennité, comme si elle n'était pas capable de s'en rappeler et devait encore constamment être considérée comme un bébé, lesquels ont le droit de dormir toute la journée, à l'inverse de ce qui lui est imposé.


Sortie de sa chambre, la petite fille contemple le tourbillon qui s'est installé de la cuisine, à la salle de bains, en passant par l'entrée, comme si chacun des membres de cette famille avait soudain décidé de passer en mode survitaminé, chaque geste accompli avec une inattendue célérité, dans une urgence qui peine à se justifier, les aiguilles de l’horloge accrochée ne semblant ni ralentir ni accélérer. De son côté, elle choisit de poser son séant sur un tabouret pour savourer à son rythme son petit déjeuner, non sans avoir l'impression d'observer autour d'elle un film en accéléré, bien mieux qu'à la télévision, avec chacun des personnages qu'elle connaît. Il faut croire que cette simple action lui a offert une immunité, car, d'un coup, plus aucune question ne lui est posée, en une surprenante ignorance de sa présence, une fois qu'elle est rentrée dans le cadre où l'on voulait la voir intégrée.

Il vient cependant un déclencheur, symptomatisé par l'aiguille de l'horloge qui atteint une certaine heure, et paraît entraîner dans son mouvement tous les vivants de son environnement, avec un pouvoir magique étonnant. Les questions repartent en mode exécution, avec des : « Tu as pris ton carnet/cartable/goûter ? » ou des : « Tu es prête à partir ? Tu as noué tes lacets ? Tu n'as rien oublié ? », ce qui du point de vue de la petite fille, ne manque pas de l'amuser, comme au sein d’une pièce dont chaque acte serait chorégraphié.


Dans la voiture qui la conduit à l'école, la petite fille doit se rendre à l'évidence : ce sera bien plus reposant d'être assis sur un banc ! Là-bas, ce sera à son tour de faire les questions, et d'explorer un nouveau monde à sa façon. À défaut d'édredon, elle aura gagné une exploration, et peut-être le droit d'avancer à son propre rythme, la prochaine fois.

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