Le départ
Sur le perron sont posés les valises et quelques cartons, un ensemble hétéroclite de couleurs, du rose au marron. Cet assemblage de possessions est cerné lui aussi par de petits tas de boîtes, carrées ou rondes, comme s'il s'agissait de la périphérie d'un nid dont les rejetons auraient commencé la dissémination. Le volume de tous ces objets n'est pas disproportionné, sauf pour celui qui aura à les porter, même si pour le moment, ils se contentent de baigner dans les doux rayons de soleil de ce printemps annoncé.
Toutes les fenêtres de l'appartement sont ouvertes, en autant d'invitation à le visiter, à présent qu'il est vidé de tout ce qui l'habitait. Sur les murs ne subsistent plus que les trous et les vis de toutes ces tableaux et ces gravures qui dévoraient cet intérieur ainsi que celui d'un grand seigneur. À présent que chacun a été décroché, les parois ressemblent à une salle des trophées dont les coupes et les médailles se seraient évaporées, musée aux vitrines béantes sans plus rien à exposer.
Le brouhaha de la rue emplit les pièces ainsi désertées, traces d'une vie qui continue de vibrer, en dépit de ce déménagement qui se déroule à côté, reproduction d'un cycle qui maintient une fluidité dans le rythme et la nécessité de se loger en fonction de la manière dont on va choisir d'évoluer. Le contraste entre toute cette agitation et le calme du lieu ainsi dépouillé invite à relativiser l'importance que cet événement pourrait constituer, certes vital pour celui dont les affaires sont empaquetées, mais banal dans ce grand mouvement qui ne cessera jamais.
Dans le coin d'une chambre traîne une peluche oubliée, vestale vigilante qui n'a aucune envie de s'en aller de ce lieu où toutes ses émotions se sont constituées, du rire aux larmes, mais avec toujours un câlin pour les accompagner. Sa présence, ainsi que son immobilité, sonnent comme un rappel de toute cette vie qui s'est déroulée dans cet endroit qui va à présent être transféré à un nouveau propriétaire pour le transformer, avec une autre décoration, avec de différents effets ; mais tant que cette peluche ne bouge pas, demeurent les souvenirs de ces enfants qui jouaient là.
Devant le trottoir est garée une camionnette aux portes grandes ouvertes, dont la capacité n'est pas loin d'être dépassée, débordante de sacs, de meubles et d'objets. Leur ordonnancement ne s'approche que de très loin d'une quelconque rationalité, plus proche de l'empilement improvisé que de la mathématique respectée. Il semble que la priorité de ceux qui l'ont ainsi organisé n'était pas de stocker dans les règles de l'art du déménagement patenté, mais plus d'empiler à tout hasard chaque chose qui se trouvait à leur portée.
L'atmosphère du jour est à la tranquillité, comme si tout ce remue-ménage n'avait jamais existé, que toute cette agitation n'avait pas le plus petit intérêt, sorte d'ondulation à la surface du lac de l'éternité. Que bougent les êtres et les choses, que changent les avis et les idées, que se déplacent les vies et les destinées, tout cela est dans l'ordre du monde, sans qu'il soit besoin de s'en inquiéter. La signifiance relative de ce qui est en train de s'exécuter ne remettra pas en cause le mouvement global de tous ces peuples qui n'ont cessé de migrer.
Une cloche sonne dans le village d'à côté, tintement porté par le vent léger qui s'en vient créer le courant d'air à même d'aérer ce lieu de vie et de l'épurer. Un avion passe dans le ciel, laissant dans son sillage une traînée argentée, symbole d'une destination qui semble déjà toute tracée, une fois que l'impulsion en a été donnée. Alors que cette transhumance est la concrétisation de décisions qui ont été posées tels de multiples jalons qui finissent par constituer un tracé, cela ne donne que plus de relativité à cet événement en train de se concrétiser.
Chacune des pièces de l'appartement ressemble maintenant à un vestige patenté, vitrine figée où le silence s'étend du plafond au plancher, comme s'il fallait révérer l'endroit ainsi qu'un mausolée riche de réflexions et de sentiments dont les murs sont imprégnés, en autant de mémoires des existences qui s'y sont succédées. Les parcourir revient à s'imaginer pleurs et rires à chaque pas que l'on fait, en une exploration du temps qui a passé, de l'apprentissage qui s'y est fait, des doutes qui l'ont habité, des chemins qui s'y sont croisés. Le labyrinthe évident que l'on suit ainsi résume bien qu'il n'y a jamais de fin, mais un présent sans cesse recommencé.
Un chat passe sur la terrasse et s'en vient renifler toutes les odeurs et les parfums que les habitants y ont laissés, se frottant avec délectation sur l'angle d'un mur que le soleil a chauffé. Curieux de ne plus voir l'animation à laquelle il était habitué, le félin pose son regard au sein de l'espace vide auquel il est soudain confronté, nostalgique de rencontres qu'il devra réinventer, en une exploration prudente et patiente de l'altérité. Conforté dans l'évidence que son environnement à lui n'en sera que peu impacté, le chat poursuit alors sa balade nonchalante afin de trouver quelqu'un qui pourra lui offrir de ronronner.
Un téléphone sonne soudain, oublié sur un carton sur lequel il vibre sans fin. Le ton de sa sonnerie ne rencontre aucun écho, comme s'il n'y avait plus d'amant, plus d'amis pour répondre à ces appels vocaux, que l'heure n'est plus à la connexion intempestive, mais à un retour aux gestes et aux mots, communication simple et directe en ce jour où n'importe plus que la solidarité pour aider celui ou celle qui a besoin d'aide pour aller plus haut, grandir et se transformer, en cet autre chapitre sur le point de se concrétiser. Les peurs et les angoisses ne sont ainsi plus d'actualité, à présent que la page est en train de se tourner. Et tandis qu'une hirondelle traverse le lieu de part en part, ses cris stridents actent le signal de ce nouveau départ.
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