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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Le réveil

Dernière mise à jour : 18 oct. 2023


Le réveil - www.laurenthellot.fr

En poussant la porte de la maison, l'homme aperçoit les champs, les arbres, le soleil, comme s'il prenait enfin conscience de la saison, presque sortant d'un sommeil. Le jour ne s'est pourtant pas soudainement levé, la lumière n'a pas d'un coup transpercé les nuées, mais pour lui, cela ressemble à l'instant où le monde vient de se créer, une sorte de révélation qu'il était tout ce temps englué dans l'ignorance et le doute de qui il est.

S'asseyant sur les marches du porche, il prend le temps de contempler ce qui devient pour lui la découverte d'une nouvelle vie, la sienne certes, mais aussi celle de tout ce autour de quoi il s'est construit, en un inventaire soulagé sur le fait qu'il demeure une certaine réalité avec laquelle avancer, après ce qu'il a traversé. Lui craignait que tout ne soit plus que cendres, à la fois consumé par la rage qu'il a mise à tout dépasser, mais aussi par le carnage que ces décisions ont entraîné, dans son entourage, dans ses activités, dans la totalité du paysage qui jusque-là lui était familier. Revoir ainsi ces herbes qui ondulent dans le vent, ces ombres aux reflets changeants, cet espace vivant est un réel et profond soulagement, de l'ordre de la libération et de l'apaisement.

Levant légèrement la tête, l'homme hume les différents parfums qu'il perçoit, tâchant de deviner d'où ils peuvent provenir à chaque fois, se reconnectant à ses sens de haut en bas. Les effluves de terre humide, les odeurs de chemins arides, les sensations de changements languides, alternance de fragrances légères et de décompositions putrides lui confirment qu'il est bien à l'unisson du monde au sein duquel il navigue, voyageur immobile qui vient soudain de se faire embarquer dans des rapides. Sentir ainsi sa connexion à ce qui l'entoure, sans même avoir besoin de faire de détour est une surprise inattendue, pour lui qui se pensait perdu, comme s'il était enfin immergé dans la réalité de la tête aux pieds, alors qu'il ne l'a jamais quittée, qu'il en était seulement coupée. Rester assis là et percevoir tout ce qu'il ne voit pas, en autant d'informations qu'il ne savait pas accessibles à ce point-là est un cadeau qu'il n'attendait pas.

Se relevant de sa station passive, l'homme entreprend de faire quelques pas autour de cette maison qu'il considère cette fois de manière pensive : à quel instant est-elle devenue une prison défensive ? Il vient seulement d'en prendre conscience, mais sortir lui donne l'impression d'un soulagement immense ; non pas qu'il se soit imposé une pénitence, mais son quotidien ressemblait de plus en plus à de la souffrance, un mélange de prudence et de défiance, à force d'avoir été blessé, avec l'urgence de ne plus se sentir vulnérable au point d'en hurler, sans saisir la cause de cette situation qui s'est ainsi cristallisée, sans deviner pourquoi il s'est de la sorte laissé stigmatiser pour devenir ce reclus que plus personne n'osait approcher. Effectuer ces quelques pas nonchalants constitue l'équivalent d'une course au firmament, avec l'émotion qui vibre en dedans, alors que rien ne laisse transparaître à quel point il se sent enfin vivant, par ces simples pas, un après l'autre, dans ce présent. Il lui faudrait presque se retenir de courir, tant l'envie d'explorer revient avec une considérable intensité, au point de le faire sourire de sentir ce besoin se matérialiser.

À faire ce petit tour, l'homme constate que la Nature n'a pas attendu son grand retour ; les arbres ont poussé, les haies se sont étoffées, les herbes folles ont repris l'espace qu'il avait abandonné, en une conquête patiente mais méthodique de tout ce qui était désaffecté. Se réapproprier son environnement est ainsi la première des nécessités pour le moment, en même temps qu'il doit réapprendre à occuper toute sa place, ailleurs qu'en se regardant dans la glace. L'intériorité a ses limites, si l'on entend exister et, en ce qui le concerne, cela a manqué de l'annihiler, à plonger dans des affres dont il avait bien de la peine à remonter. Se montrer à nouveau, réapprendre ce dont il a besoin, ce qu'il lui faut sont autant de priorités, au-delà de la simple action de se remettre à bouger. Il y aura peut-être un minimum de réapprentissage de ce qu'il est, de son image, avant de pouvoir initier le moindre voyage sans risquer le naufrage, non par manque d'expérience, mais de pratique et de récurrence, après toutes ces années de souffrance, en la mise en mouvement de son énergie et de sa puissance, afin qu'il soit en capacité d'être lui-même, en conscience.

Ces quelques circonvolutions ont le mérite de recaler son rythme, d'apaiser sa raison, qu'il ne se sente plus étranger en sa propre maison, mais invité, objet de multiples attentions, pour l'amadouer, le rasséréner, lui rappeler l'importance qu'il doit attacher à prendre soin de qui il est, après tout ce qu'il vient de traverser d'expériences intenses, à la limite de la maltraitance. Faire ainsi l'inventaire de sa place actuelle dans l'univers est une manière de se recentrer dans la matière, son corps, ce terrain de jeux empli de mystères qu'il commence tout juste à effleurer en y mettant la lumière de la joie qu'il peut éprouver à exister, enfin en totalité et non plus morcelé. Sa reconnexion à ce qu'il pensait avoir oublié, redécouvrir l'ensemble de ses capacités est un moyen tangible pour revenir à ce qu'il avait délaissé : sa propre et intime identité.

Se retournant complètement, l'homme rentre de nouveau dans la maison dont il venait à peine de s'extirper, en une retraite qui n'est pas celle que l'on pourrait imaginer. Ouvrant grand la porte, il laisse l'air s'y engouffrer, et il fait la même chose avec toutes les fenêtres qu'il voit fermées, dans une grande vivification du plafond au plancher, sans porter intérêt à tout ce qui pourrait s'envoler. Rideaux, volets, sont attachés afin qu'ils ne s'en viennent pas interférer avec ce souffle vivant porté par le vent. L'heure n'est plus à se protéger, mais à accueillir l'impulsion de changer, y compris si ce qui va survenir n'est pas anticipé ; tout, plutôt que de continuer à vivre cloîtré.

Sa mission accomplie, l'homme fait jouer une musique légère sur un vieil appareil, offrant aux accords et aux sons l'opportunité de diffuser leurs merveilles, de gratitude et de joie sans pareille, auxquelles il se joint en esquissant un pas de danse qui l'éveille, au mouvement, à la vie, à l'énergie qui était figée tout ce temps. Et tandis que les notes s'envolent dans l'atmosphère, l'homme sort et se laisse tomber par terre, lové comme contre le sein d'une mère ; puis, dans un grand rire de soulagement, il s'écrie au firmament :

« Je suis vivant ! »

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