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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Réconciliation

Dernière mise à jour : 22 janv. 2022


Réconciliation - https://www.laurenthellot.fr/post/r%C3%A9conciliation

Les grondements de la guerre se font encore sentir, vibrations sourdes et mortifères qui s’éloignent peu à peu jusqu’à s’évanouir. Leurs échos résonnent au travers des ruines fumantes où se sont déroulées des batailles démentes, rageuses, à la violence brûlante. L’hébétude qui plane sur le paysage ravagé donne le sentiment que plus rien ni personne n’est prêt à se relever, terrassé, exsangue de la furie qui s’est déchaînée, comme un fauve vorace dont les morsures n’auraient laissé que sang et plaies impossibles à refermer.

L’atmosphère n’a rien d’apaisé ni d’équilibré, au contraire envahie de poussières et de débris que le vent s’efforce d’emporter, en dépit de leur puanteur et de leur nocivité, pour qu’une place nette soit à même de s’afficher, et permettre ainsi au renouveau de s’amorcer, mais pour l’instant, l’heure est encore à retrouver ce que l’on peut sauver, d’honneur et de dignité, après toute cette colère et cette violence déchaînée, catharsis brutal, mais nécessaire pour ne pas se consumer.

Dans ce décor d’apocalypse qui a déferlé, il n’est encore très clair s’il demeure quoi que ce soit à garder, tant la minutie et l’obstination que l’on a mises à tout annihiler ont produit mélange et confusion entre ce qui n’était là que pour subir, et ce qui devait être préservé pour grandir. Les reliquats de cette campagne de dévastation ne ressemblent plus à ce que l’on avait en mémoire d’espérance et de raison, aucune distinction n’ayant été faite entre les émotions viscérales et les obsessions que l’on avait en tête.

Devant ce résultat, il n’est plus évident de décider quoi que ce soit, partagé entre l’épuisement et ces relents de colère qui sont toujours là. Ne plus considérer chaque obstacle comme un objectif à abattre, chaque rencontre comme un risque à combattre, chaque hasard comme une future débâcle, autant de sensations qu’il est compliqué d’appréhender dans la confusion au sein de laquelle on continue de se débattre, dans la fixation que l’on fait sur la nécessité de ne plus rien garder.

Le constat auquel on parvient n’est pas celui d’une satisfaction d’être arrivé à ses fins, mais la lassitude de tout ce sang sur les mains, cette force que l’on a autorisé à exploser pour clouer au pilori tous ceux qui nous avaient blessés, dans une croisade systématique et personnalisée, que notre douleur soit aussi la leur, quoi qu’ils aient fait, dans un retour à l’envoyeur indistinct et concrétisé par un refus catégorique d’écouter ce qu’ils pourraient encore expliquer ou dire pour ne pas se voir anéantir.

De cette position de juge et d’arbitre, l’on n’autorise plus personne à argumenter pour qu’il n’explose pas comme une vitre contre laquelle une tornade s’acharnerait, jusqu’à ce qu’elle se volatilise en pièces que rien ni personne ne pourra jamais reconstituer. La persistance que l’on a mise à ce que pas une relique ne subsiste de ces adversaires honnis démontre la puissance qui est la nôtre et qui demeurait tapie sous la civilité et son vernis, costume bien trop étroit aujourd’hui.


Il ne jaillit pas de satisfaction d’avoir été ainsi à la fois cet ange et ce démon, capable de pourfendre que l’on ne juge pas légitime et dominer ce que l’on pense nous tirer vers l’abîme. Devant ces vestiges des ravages effectués, il ne ressort qu’un sentiment de gâchis incompréhensible et de fatigue prévisible, avec l’évidence d’avoir perdu, et l’objet, et le sens de ce que l’on cherchait, cette espèce de vengeance que ce résultat cataclysmique n’a rien apaisé.

La sensation attendue de soulagement et d’aboutissement ne parvient pas à atteindre ce cœur que l’on préservait en-dedans, seul destinataire et seul moteur de cet acharnement, blessé qu’il était par les agissements passés, honteux qui s’estimait de s’être autant fourvoyé, à la fois bourreau et victime de ses propres fragilités. Il n’est pas de relâchement dans la frénésie des battements que l’on perçoit sans discontinuer, en un rappel que cette colère n’est pas apaisée.

L’état de sidération et d’abattement qui nous saisit confirme que nous n’avons encore pas appris comment accueillir ce qui nous a bouleversés ainsi, sans pour autant projeter à tout va les explosions de nos blessures vers ces soient-disant ennemis, en murailles de protection et de déni, au lieu de considérer avec émotion ce qui nous est dit, cette vérité qui nous a traumatisés, ces confrontations qui nous ont laminés, ces exclusions qui nous ont maltraités.


Le vide présent autour, peuplé de seulement quelques vautours, gardiens rassasiés des douleurs que nous avons libérées, expulsées pour qu’elles cessent de semer les graines du malheur dans les rêves qui nous portaient, cet espace inoccupé par la destruction que nous avons causée ne renvoie que le son de la tristesse désenchantée, petite fille transie que personne n’arrive à écouter, dans la solitude au sein de laquelle elle a été plongée par cette onde de choc illimitée.

La perplexité de ne pas avoir réussi à calmer cette souffrance qui a jailli ouvre enfin à la possibilité d’un regard différent sur ce qui a été subi, non plus comme une sanction d’un comportement malfaisant, mais la révélation d’un système enfermant, ni glorieux ni valorisant, ainsi que toutes ces victoires qui ne conduisent qu’au néant. L’ouverture qui se crée ainsi donne cette timide et peureuse idée, que l’annihilation ne serait pas la solution idéalisée.

De cette soudaine pensée émerge alors un vertige que l’on n’aurait pas supposé, presque une évidence que l’on se refusait de considérer, que cette violence, ce rejet ne démontrait que notre capacité prévisible de restructurer ce qui nous agressait, et non pas la chance de l’appréhender d’une façon que l’on ignorait, corollaire présupposé de faiblesse et de pusillanimité, alors qu’il s’agissait au contraire d’expérimenter ce que l’on n’avait jamais osé : pardonner.

Survient ce que l’on méprisait, sans en saisir l’immense portée : un sentiment de soulagement à l’idée de cesser de batailler, juste en ouvrant les bras pour accueillir ce qui l’on ne cessait d’affronter, cette obsession que le monde était notre ennemi juré. Dans un mouvement naturel de joie et d’émotion, l’on comprend que l’on avait tout ce temps scruté dans la mauvaise direction : non pas au-dehors, à la recherche des responsables de nos humiliations, mais en notre cœur, où coexistaient la crainte et le remords, qu’il suffisait simplement d’écouter pour se décharger de ces ennemis jurés, honte et déni ligués pour nous limiter. Et tandis que l’on se déleste de ce poids qui nous épuisait, l’on remarque alors que des fleurs ont commencé à pousser sur le champ de bataille déserté : jaune, rouge et blanches mélangées, celle de la vie retrouvée.

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