Sous la lumière
Des rayons qui parsèment le bureau à la manière des traits d'un pinceau, en petites touches colorées, ou en grandes lignes déployées ; un paysage qui s'étend au travers d'une fenêtre dans cette chambre hors du temps ; un silence troublé seulement par les sons du souffle du vent ; ce jour n'est pas particulier ni à distinguer de ceux qui l'on précédés, mais il offre un répit espéré dans la succession des événements écoulés, en une respiration qui permet de se ressourcer.
Les nuages qui filent dans le ciel l'habillent de coton et de dentelle, dans un mouvement silencieux et irrévérencieux, avec l'envie de le distraire un peu et l'emmener loin de ce bleu par trop appliqué. Leur défilé ininterrompu donne à l'horizon l'image d'un film diffusé en continu, avec une succession de tableaux qui occupent l'espace de bas en haut, légers et imagés, profonds et variés, cadeau proposé à ceux qui prendront le temps de le considérer et de s'en émerveiller.
Dans la maison, quelques bruits paresseux commencent à se manifester, démonstration poussive que la vie ne s'est pas arrêtée, mais qu'elle se poursuit à un rythme qui n'est pas celui de la semaine écoulée, presque au ralenti, avec le souhait de profiter enfin de la vie, sans plus courir, sans plus souffrir, en se laissant porter au gré de ses désirs. Aucun programme n'est arrêté, juste celui de profiter de la journée, en une exploration familière et pourtant singulière, cette fois avec une autre façon de faire.
L'heure n'est pas à l'agitation, mais à la contemplation, moment indistinct au sein duquel il n'est plus de soir ni de matin, mais le seul éclat du jour qui dissout hier et demain. Le soleil présent n'est pas une incitation à s'exposer à sa lumière incandescente, mais au contraire à se nourrir de ses ondes iridescentes, en un bain de jouvence qui faire remonter une énergie vibrante et ressourçante, écho nécessaire face à cette course permanente que l'on s'impose sans volonté consciente.
De voir ainsi son agenda se vider de tout ce qui y était écrit déjà donne un étrange sentiment de vertige, comme si l'on découvrait soudain le vide qui avait toujours été là. S'y habituer, le considérer, ne pas s'en affoler constitue déjà une victoire en soi, par le fait de résister à l'urgence de le combler, de le remplir à nouveau avec tout ce que l'on pourrait trouver ; mais il est l'heure de changer ces rites qui ne font que nous épuiser, pour s'autoriser de ne plus aller aussi vite, au moins cette journée.
Ralentir n'est pas s'isoler, mais se permettre de vivre à un rythme où l'on va enfin s'écouter, plus calme, plus serein, loin de cette frénésie que notre esprit imposait pour se sentir puissant, dominant, alors qu'il n'est pas besoin de s'agiter pour exister, mais bien de s'écouter pour se respecter, en une bonne action : celle d'enfin s'accompagner. Décider pour cette fois que le cœur et le corps seront les rois est une manière de se divertir sans plus souffrir le martyre des tensions que l'on maintenait pour avoir le sentiment de s'appartenir.
Dans cet intervalle ainsi créé, sorte de parenthèse enchantée au creux du monde qui ne cesse de galoper, il n'est plus d'heure ni de rendez-vous manqué, au contraire la possibilité de tout créer, des rencontres, des projets, des idées, parce qu'on va les laisser émerger sans les étouffer sous un ordre de priorités dévoyées, uniquement axées sur des rendements qui gonfleront le compte-rendu de la journée, comme si l'on restait redevable de tout ce que l'on dit et fait.
Se poser ainsi, contempler le soleil qui luit, ne pas s'imposer de non ou de oui, mais se laisser porter par nos envies, de ne rien faire peut-être, de se rappeler qui l'on veut être, de n'en faire qu'à sa tête, dans une léthargie active, celle au sein de laquelle on peut tout se permettre, le doute, le rire, la déroute, les soupirs, l'ensemble de ces émotions que l'on se s'autorisait pas à faire jaillir, de peur qu'elles nous submergent d'un coup, alors qu'il s'agissait simplement de revenir à nous.
Se dire que plus rien n'est urgent, que tout ne se résoudra pas en un instant, que la société peut continuer à s'agiter et que ce sera bon de faire ce pas de côté et de se contenter de l'observer. Admettre que cela nous fait du bien est le premier pas sur le chemin qui conduit à cet équilibre divin, où il n'est plus question que de s'écouter et de s'accepter, dans le rythme que l'on va décider, sans plus de pression ni de stress pour justifier la raison et la cause de tout ce que l'on fait.
Le soleil poursuit sa course personnelle contre la nuit universelle, les nuages, leurs jeux perpétuels pour titiller sa lumière intemporelle, et le ciel les accueille sans jugement, sans en faire des adversaires sempiternels. Il n'est question que d'un équilibre qui se perpétue, sans plus d'enjeu qu'une exploration sans but, une expérimentation pour en mettre plein la vue, de beauté, de légèreté, de spontanéité, à tous ceux qui omettent de lever le nez, afin de leur rappeler qu'ils baignent dans un univers insensé.
Être celui qui prend conscience de ce nouveau rythme dans l'existence fait d'ailleurs monter une joie immense, surprenante, déroutante, envahissante, d'autant plus qu'elle est inédite, comme une émotion naissante qui n'aurait jamais été dite, sacrifiée sur l'autel d'un agenda programmé. Découvrir ainsi qu'avoir osé jeter son programme aux orties libère une jubilation que l'on pensait ne plus jamais retrouver dans notre vie déploie une incrédulité proche du déni, tant la simplicité de cette action nous remplit de satisfaction.
De ce qui ne devait être qu'une journée parmi toutes celles qui nous encombrent la tête, voilà que cette lumière qui s'est invitée par la fenêtre nous a rappelé qui l'on pouvait être, loin de cette agitation de bête, mais bien que le bonheur n'est qu'une question de choix, entre une routine sans condition ou une présence à soi, des pieds au front, sans plus renier qui l'on a envie d'être au fond :
heureux, en priorité.
Commenti