Un pas de côté
La route que l'on emprunte n'est pas exempte de surprises que l'on n'a pas anticipées, de détours que l'on ne voulait pas emprunter, de rencontres que l'on aurait préféré éviter. Il n'est cependant d'autres choix que de s'y confronter et d'apprendre de ces interactions inopinées, à moins de vouloir rebrousser chemin et voir sa progression stagner. Cette dernière décision n'est d'ailleurs pas à blâmer, car nul ne nous oblige à affronter ce à quoi l'on ne se sent pas prêt. Être un héros au quotidien ne fait pas obligatoirement partie de notre destin, et il est tout autant louable de s'en remettre à une âme charitable ou tout simplement ignorer cet enseignement proposé.
Sur tous les sujets que l'on aborde, il nous est expliqué qu'à défaut de passer des épreuves et de les surmonter, il ne restera plus que l'on se saborde, puisque l'on n'est pas à la hauteur de ce qui nous est présenté. Cette définition de la vie comme une succession de combats réussis réduit cependant les possibilités de s'offrir calme et sérénité, avec une unique option, celle de batailler sans condition. La propension à vouloir que tout se gagne à la force du poignet ne nous laisse pas d'autre voie que de provoquer la douleur, la peur, la rancœur, aux fins d'une réaction qui induira notre transformation, ce qui n'est en aucun cas une obligation ici-bas.
Regardons cette route, ses virages, ses lignes droites, ses ponts aussi et son tracé qui se perd dans l'horizon infini. En quoi serait-il nécessaire qu'elle soit peuplée de bandits, d'escrocs, de chausse-trappes et d’appeaux à même de nous tenter pour mieux nous leurrer et nous faire chuter ? Rien dans ce qui est offert sur cette Terre n'induit que les préliminaires en soient un enfer, à moins de décider de rester fixé sur l'idée que ne se mérite que ce que l'on a obtenu de haute lutte, de préférence avec des pics et des lances, pour faire de cette quête une apologie de la violence. Si l'on entend qu'il en soit le cas, alors ne nous demandons pas pourquoi l'on se confronte sans cesse à cela.
Sur nos envies et nos désirs, il n'est rien que l'on ne puisse faire surgir, en créateur de beauté et de sourires, au lieu de faire de nos angoisses un moteur de notre intérieur, en démon personnel qui s'échine à projeter nos doutes dans le réel. La puissance que l'on va choisir d'assigner à chaque partie de nous-mêmes que l'on va privilégier, la joie ou l'effroi, conduira sur la voie qui nous propose cela, en maître absolu de ce que nous avons toujours su : nous sommes les créateurs du monde chaque seconde, chaque minute, chaque heure, dans une indéfinissable ronde, celle de la quête du bonheur.
Bien que cette route est proposée, elle n'induit pas que nous devons à tout prix l'emprunter. Et si nous avons besoin de ne plus avancer, de nous poser, de nous arrêter et de préférer ne pas continuer, libre à nous de l'expérimenter sans risque de nous faire réprimander, à part par nous-mêmes si cette décision n'est pas assumée. Avoir un aller pour une destination ne nous contraint pas à l'utiliser sans condition, pour peu que nous hésitions ; et il n'y aura personne pour nous blâmer, sauf ceux qui sont dans l'incapacité de comprendre les choix que nous avons faits, puisqu'ils ont eux-mêmes leur propre chemin à explorer et qu'ils estiment plus simple de critiquer ce qu'ils ne peuvent pas maîtriser, plutôt que de se concentrer sur leurs propres destinations, leurs seuls projets.
Sur ce qui nous appartient, qui n'a rien à voir avec les mots « fatalité » ni « destin », il n'est que la liberté de regarder où nous avons l'opportunité d'aller, sans jugement, sans se sentir prédéterminé à reproduire un schéma qui nous a été inculqué, des instructions qui nous ont été répétées, des avertissements qui ont été lancés, pour notre bien, pour notre sécurité, pour aussi nous freiner dans ce que nous aurions aimé aller toucher, de frissons, d'émotions, de résignations, pour peu que cela vienne de nous en entier, et non pas d'une famille, d'un travail, d'un passé, mais bien d'un présent réel et actualisé. L'idée même que l'on puisse rester dépendant d'une pratique, d'une éducation, d'une prédestination nie en totalité le fait d'exister, libre de tout tenter ou de ne rien essayer.
La route en tant que telle n'est qu'une proposition, une invention pour nous montrer une direction, nous donner une impulsion, sans qu'il soit nécessaire qu'on en foule la poussière, si nous préférons voler, s'il nous vient l'idée de creuser, si ce tracé ne nous suffit pas et qu'il est urgent d'en créer des milliers. L'apprentissage ne se fait qu'au travers des décisions que l'on va poser, y compris s'il s'agit de ne rien oser, passager figé devant la porte qu'on lui tient grand ouvert et qu'on l'invite à traverser. Cette destination suggérée n'est qu'une manière de nous relier à la réalité, de nous sortir de notre tête pour que l'on décide qui l'on veut être, par nos actions et non nos réflexions, par nos propositions et non nos hésitations, par nos émotions et non nos cogitations.
Sur ce qui nous définit, face à ce qui se répète à l'infini pour tout un chacun du soir au matin, il importe de se positionner d'abord face à l'altérité, dans ce qui est plus qu'une route, mais bien une identité, où les interactions qui vont se créer génèreront fleurs et bourgeons et graines de ce qui nous libère ou nous enchaîne, en une myriade de propositions qui seront nectar ou poison, en fonction de ce que l'on a opté comme position, active ou passive, joyeuse ou triste, conscientisée ou décérébrée, pour faire de nous des humains en totalité, dans leurs imperfections, dans leur matérialité, dans leurs dimensions, dans leur sensibilité.
Alors autorisons-nous ce pas de côté, sur tous les tracés rassurants, sur tous les enseignements, toutes les vérités de l'instant, pour ne plus écouter qu'un seul être : nous-mêmes, des pieds à la tête.
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