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Devenir


Devenir - www.laurenthellot.fr

Le choix n'est pourtant pas si difficile, d'aller à gauche, à droite ou rester immobile, voire invisible. Tout est une question de destination, celle calculée et prévisible, ou alors cette autre inestimable et possible. Face à ces pancartes qui lui indiquent tous les possibles, la voyageuse demeure dans une hésitation risible, alors que la première impulsion rendra tout cela fluide et paisible ; mais elle reste ainsi pétrifiée et faillible, dans la terreur de se perdre et de ne plus pouvoir revenir sur cette route qu'elle aura empruntée sans un coup de tête plausible. Lui faut-elle alors calculer tout ce qui pourrait s'annoncer, pour être sûr de ne pas s'égarer, ou bien se laisser porter par les pas qu'elle aura initiés, sans plus de doute, à part accueillir ce qui s'offrira sans hésiter, juste heureux de se le voir proposer, sans remords ni regrets, par le simple fait d'avoir osé ?

Le panneau de gauche mentionne le nom d'une grande ville, de celle où elle aura tout ce qui clinque et tout ce qui brille, dans une célébration de pacotille où le succès se mesure à l'aune de ce qui se monnaye et se distille, comme un remède miracle pour éviter de se faire de la bile ; mais en quoi ne serait-ce pas honorable de se languir d'argent et de sécurité, pour se lover dans le confort que l'on aura gagné, par la grâce de cette menue monnaie ?

Le signe de droite propose un dessin, celui d'un océan derrière un ravin, sans nulle doute une invitation à l'aventure où rien jamais ne dure, dans une alternance de challenges et de compétitions, contre soi et tout le monde, au fond. Aucune limite ne sera jamais posée, mais aucune certitude assurée, à la limite de l'aléa et de la liberté, vers un chemin où chaque jour sera à réinventer, pour peu que l'on trouve l'énergie de se renouveler.

Là où est planté ce piquet se tient un gîte de randonnée, avec une magnifique cheminée et une formidable tablée, la certitude de ne jamais plus être isolé à la croisée de ces chemins où chacun se doit de passer. On peut ainsi se faire servir, boire, manger, dormir ; mais y rester induit que ce sont les autres que l'on regardera partir et voyager, sans plus de possibilité que de rêver à ce que l'on aurait pu explorer si l'on ne s'était pas arrêté. Il est cependant juste parfois, de ne plus avoir ce désir d'avancer, mais de se poser, sans besoin, sans attente, pour contempler ce que le monde invente, sans y participer, ayant jeté sa tente.

Et rien n'empêche d'ailleurs de revenir d'où l'on est parti, dans un retour vers une ancienne vie, sorte de retraite de tout notre être pour ne plus se prendre la tête, mais au contraire avoir la certitude de se faire reconnaître par ceux que l'on a déjà croisé, par ce que l'on a déjà expérimenté, en une parfaite régression assumée, en une rétractation de notre volonté. Il ne serait cependant être demandé de progresser à tout prix à marche forcée, si l'on en voit plus l'objet ni la légitimité ; alors pourquoi pas se retirer dans le giron où l'on est né, en toute simplicité ?


Face à toutes ces options, la voyageuse demeure perplexe, à se demander si cela constitue un test. Durant son périple, elle a déjà croisé tout un chacun qui s'en est allé de ces côtés, parfois en revenant désabusé, parfois aussi perdu ou désespéré, parfois encore en ayant le sentiment d'avoir tout gagné, ou enfin d'avoir fini de voyager ; et à son grand étonnement, elle se découvre le sentiment elle aussi d'être cette femme qui a fait le tour de la contrée, s'en est allée bourlinguer sans hésiter, d'avoir ratissé tous les trajets qui lui étaient proposés, de ne plus sentir l'envie de continuer à reproduire ce qui a déjà été fait, en une répétition du petit élève parfait. Aucune des directions qui s'affichent ne fait sens, après tout ce qu'elle a rencontré, de défis, de défaites, d'échanges ou d'abandons, mélange entre deuil et fête de tout ce qui pourrait être accompli sur cette petite planète. Ses cartes dans les mains, ses idées qui ne concrétisent plus rien, la voilà qui ne sait plus, qui ne sait pas, sauf peut-être l'évidence qu'elle n'est pas prête pour une retraite, qu'elle a encore besoin de chanter, de danser, de faire de sa vie une fresque complète. À contempler aussi ces grandes tablées, ces menus proposés, elle comprend certes que l'on pourrait avoir envie de rester, mais pour ce qui la concerne, ce serait se perdre et s'oublier, renoncer à en apprendre plus que ce qui lui a déjà été inculqué.


Quel choix reste-t-il quand tout est déjà catalogué ?


À cette question qui se met à la tarauder, la voyageuse lève les yeux au ciel, à se perdre dans les nuées. Elle ne se doutait pas qu'elle arriverait là un jour, à se demander si elle a dès à présent fait tout le tour, de la vie, des amis, des amants, des plaisirs aussi, tout ce qui la rend vivante et fait qu'elle se lève chaque matin pour accueillir le soleil qui luit et chasse les ombres qui l'ennuient. Laissant ainsi son regard vagabonder parmi les nuées, elle se dit qu'elle n'est pas du genre à renoncer, sans entendre néanmoins ce qu'elle pourrait faire pour ne pas abandonner ; jusqu'à ce qu'elle aperçoive cette créature que les quelques nuages dissimulaient.

Deux ailes massives, une queue aux multiples reflets, des yeux comme des éclairs enchâssés ; si elle écoutait son âme de petite fille, ce serait un dragon bleu et violet, même si son esprit se met à renâcler à cette idée. Qu'importe alors ce que c'est ! Et si, pour en avoir le cœur net, elle la suivait ? Après tout, cela lui donnera au moins l'occasion d'avancer. Et sans plus hésiter, voilà la voyageuse qui se fraye un tracé parmi les fourrés, sur un chemin qui n'a pas encore existé, bataillant pour s'octroyer le droit de passer, mais soudain consciente de ce que son cœur s'est mis à vibrer. Dans le ciel, la chimère mirifique ne cesse de progresser, sans aucune considération pour cette femme qui l'a désignée comme guide assermentée. Elle virevolte bon gré mal gré, entre cumulus, soleil et ondées, se jouant de l'espace ainsi que dans une cour de récré, avec au sol, la voyageuse qui s'émerveille de ce ballet.

Il n'est plus question de but ni de destinée, encore moins de point de chute ou de trajet planifié ; inspirée par cette créature qui ne cesse de l'émerveiller, la voyageuse ne sent plus ni fatigue ni regret, mais de la joie pure et une folle curiosité, sans crainte ou inquiétude pour la freiner. Les paysages qu'elle traverse n'ont jamais été explorés, les sensations qui la bercent sont toutes inusitées : elle se sent vivante comme jamais et pourrait continuer pour l'éternité, dans un voyage qui serait à chaque pas renouvelé.

Et la traversée de mondes inconnus de se perpétuer, et la rencontre de personnages impromptus de se multiplier, et la vie de se réinventer ; dans une étonnante symbiose, la chimère et la voyageuse tracent un sillon où naissent partage et fraternité, le meilleur des compléments pour enfin exister.


Arrive enfin ce jour où la créature daigne considérer cette femme qui ne l'a pas quittée, plongeant soudain dans sa direction, pour atterrir à ses pieds dans un cataclysme calculé. Après un examen circonspect, elle offrirait presque à sa partenaire improvisée une esquisse de sourire étonnée, avant de redécoller dans un souffle dantesque, non sans glisser avec malice à la voyageuse sidérée :


Ce n'est pas moi que tu suivais, mais tes rêves éveillés.

Continue à inventer qui tu es.

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