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Grisaille


Grisaille - www.laurenthellot.fr

Dans un jour où le ciel ne laisse plus filtrer que la lumière d'un hiver déjà annoncé, il est difficile de trouver le soleil que l'on espérait, cette douce chaleur qui nous aiderait à ne pas penser au jour d'après, mais à profiter de l'instant qui se déroule en toute félicité. L'atonie, et de l'air, et du temps, nous invite à une mélancolie que l'on n'avait pas ressentie depuis longtemps, ce sentiment de pouvoir d'un coup être emporté par le vent, en un souvenir effacé de qui l'on était auparavant. Se percevoir de la sorte, fragile et perdu, alors que l'on s'était levé simplement, sans volonté ni but, laisse un goût de vertige, de se voir ainsi faillible et ténu, au beau milieu de ce monde qui éructe et qui n'en peut plus, de cette course éperdue, de cette frénésie déjà vue, en une cacophonie qui brouille le calme jusqu'aux nues, insupportable de vanité et de fatuité, alors que la Terre n'en peut déjà plus. Avoir le sentiment que l'on est le seul à vibrer cet épuisement, cet abandon des temps d'avant, surprend autant que déçoit, tant l'énergie devrait pourtant changer et être là, nouvelle, éclatante, belle, de celle qui irrigue et qui renouvelle ; mais aujourd'hui, la fuite en avant continue de plus belle, compétition hérétique pour des trophées qui ne sont qu'en plastiques, petits jouets que chacun se presse de s'approprier, dans la peur de perdre et de manquer. L'abondance n'est cependant pas dans cette compilation insensée d'argent et d'objets, mais bien dans le partage avec l'autre, l'échange, la curiosité, les seules valeurs qui portent encore un intérêt, tandis que tout le reste est déjà en train de se déliter. Au creux de ce paysage de gris et de blanc étouffés, se sentir à ce point décalé donne la sensation de s'être trompé d'existence, de saison, comme si ce réveil n'était pas celui qui était promis, mais un rêve qui n'est pas fini, qu'un sursaut va survenir, qu'un écho va retentir, qu'un vaisseau va surgir et emporter tout ce qui est là à gangrener l'espace de haut en bas, afin de libérer la place pour une autre espèce, une autre race, de celle qui prendra soin de ce qui lui a été offert, ce paradis sur Terre.

Penser de la sorte n'est de fait pas habituel, pour cette journée qui devait être belle, mais il faut croire que les rayons ternes qui se dissolvent dans le ciel influent sur ce que l'on est prêt à accepter et ce dont on ne veut plus, dans un raz-le-bol généralisé qui incite à, ou bien tout jeter, ou bien tout garder, non par extrémisme, mais parce qu'il n'est plus possible de continuer ainsi pour un nouveau tour de piste, dans ce cirque où il ne reste plus que des clowns tristes, reliquats blasés d'une fête qui n'a pas su se terminer et s'obstine à continuer pour la galerie, pour ne surtout pas changer, pour ne pas entendre que la fête a cessé et qu'il est l'heure de rentrer ; mais comment admettre que ce que l'on a toujours fait doit maintenant être changé, afin de se réinventer, donner l'occasion à une autre génération de germer et de déployer ses propres talents si souvent décriés et qui constituent à présent la seule manière de continuer ? Il ne s'agit pas d'abdiquer, de renoncer, mais de reconnaître que l'on ne comprend plus ce que l'on fait, que l'on se sent dépassé, que l'on ne sait plus à quel saint se vouer, nous qui étions pourtant sûrs de détenir la vérité révélée, à l'aune de toutes ces années où nous avons pillé, dévoré, rejeté. Alors quand le climat se met au diapason de ces pensées que l'on ne dit pas, par crainte de se voir exclu de cette ronde-là, il serait peut-être temps de considérer que l'on n'est plus en train de fantasmer, mais au contraire de prendre conscience qu'il est l'heure de changer.

Ce constat établi, il demeure toujours ce ciel gris, cette absence d'envies, ce souhait de retourner se coucher, en espérant que la prochaine fois, les nuages se seront évaporés, offrant peut-être un peu de cette lumière qui devrait nous aider à persévérer dans cette existence qui n'est plus réglée, mais au contraire, part dans tous les sens, sans que l'on n'arrive plus à la contrôler, mélange de répétition, de cogitation, de trépignations. Se tenir debout devant cette fenêtre ouverte, sans autre désir que de ne pas fléchir donne à ce jour qui s'avance l'image d'une Bérézina actée, tandis que l'on devrait commencer une danse pour la célébrer, qu'au moins, il reste quelque chose, une musique, un rythme, de tout ce qui va être dévoré par ce sol sur lequel on a posé nos deux pieds, mais que l'on ne réussit malgré tout pas à bouger. De constater à quel point on se sent impotent rajoute d'ailleurs encore plus de consternation larvée face à notre incapacité à acter ce qui doit être changé, à commencer par notre volonté qui serait mieux employée à se concentrer sur des solutions à imaginer, une énergie à impulser, des liens à tisser, plutôt que d'autoriser cette envie de se cacher à monter et à s'installer. Si d'aventure, il suffit d'un ciel gris pour nous couper toute impulsion et capacité à réinventer notre vie, il serait temps de se demander pourquoi l'on n'a pas encore grandi, pourquoi l'on doit encore nous indiquer quand dire non ou oui, au moindre souci.

Et si l'on ne regardait pas le ciel, mais que l'on remarquait enfin cette petite étincelle, cette minuscule flammèche qui s'est allumée sans mèche, en un éclat soudain de joie et d'émoi ? À force de regarder à l'extérieur, d'attendre le bon moment, la bonne heure, il est évident que l'on a oublié de s'écouter, en dedans. Que le monde soit glauque et étouffant ne doit pas nous empêcher de nous sentir vivants et vibrants, dans un retour à soi qui se doit de prendre place ici et maintenant. Ce n'est pas en morigénant et déprimant que l'on changera quoi que ce soit à la teneur de ce qui est là. La première et principale chose sur laquelle on peut influer reste bien soi, de la tête aux pieds. Alors au lieu de récriminer, allumons une bougie pour éclairer, mettons-nous à chanter. Cela ne fera certes pas bouger l'aiguille du baromètre figé, mais offrira au moins une variation plaisante dans la morosité qui, à défaut de tout révolutionner séance tenante, montrera la direction de la voie à emprunter. Le ciel est toujours gris et plombé, mais au sein de notre esprit, une flamme s'est initiée, petite, solitaire et fragile, mais l'unique que nous sommes à même d'alimenter :


celle de notre humanité.

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