Les reflets
Dernière mise à jour : 17 déc. 2023
La surface de l'eau sur le marbre renvoie vers le ciel et la cime des arbres, comme si l'atmosphère se trouvait soudain incorporée dans la pierre sans plus pouvoir s'en échapper. La table posée sur ce balcon devient soudain une porte vers un horizon sans fond, en une invitation au voyage au travers de ces évanescentes images. Les gouttes d'eau qui tombent par intermittence sur cette flaque aux multiples iridescences troublent à peine la sensation de vertige et d'impuissance face à cette invitation à plonger au sein de cet univers proposé, sans plus d'ambivalence à se demander s'il s'agit bien de la réalité.
De la perspective d'où l'on contemple cette proposition à tout basculer, on sent cette envie vibrante d'enfin oser s'en aller vers l'inexploré, qu'une fois au moins, on puisse se confronter à ce que l'on ne peut pas imaginer, que l'on devienne cet aventurier que l'on n'a jamais osé. Le temps maussade qui a créé cette autre réalité n'est que le mutin acteur d'une improbable aubade à devenir un explorateur improvisé, de ne plus se contenter de gésir sur son palier, mais de transformer sa journée pour en faire un voyage que l'on n'aurait pas envisagé, tout cela par la simple grâce de la pluie qui s'est mise à tomber.
La contemplation de cette magie en action nous bluffe par sa facilité ; point d’esbroufe ni de grande explosion, mais la simple et basique transformation d'une matière en invention par les jeux de lumière, par un zeste d'imagination, par un décalage de nos perceptions. Il n'est pas question de se croire soudain un cosmonaute aguerri prêt à plonger dans les ténèbres de l'univers infini. Il s'agit juste de porter un regard différent sur notre quotidien de jours et de nuits, aux fins de réaliser que tout a toujours été présent, maintenant et ici, sans besoin d'aller chercher des réponses à des questions que l'on n'a pas apprises depuis.
Le vol d'un oiseau entre les nuages nous invite à lever le nez un peu plus haut pour observer cette nouvelle proposition à découvrir d'autres paysages, à détailler le quotidien avec un autre visage, sans pour autant partir à l'autre bout du monde en avion, mais simplement en décalant notre manière d'évaluer une situation, en une inédite approche de nos sensations, où la révolution n'est pas la guerre annoncée, mais une différente façon d’exister. Le bref passage de ce volatile nous renvoie à notre immobilisme, coincé entre la maison et la ville, avec pour seule issue quelques jours offerts lorsque l'on n'en peut plus ; et ce vol qui nous est montré sonne comme un rappel qu'il est temps de bouger.
Et puis vient cet éclat de lumière qui transforme cette surface en soleil éphémère, faisant briller de mille feux ce qui n'était jusque-là qu'un simple amas de matière, soudain transfiguré par ces poussières d'univers. L'illumination est fugace, mais elle nous offre l'occasion de regarder le monde d'une autre place, celle de l'enfant qui s'émerveille de toute la joie qu'il sent et de ce qui se crée d'un coup dans l'espace. Cette contemplation devient un jeu, par une simple grâce, celle d'observer avec d'autres yeux ce qui nous laissait de glace, pour qu'enfin apparaisse ce qui avait toujours été là, mais que l'on n’imaginait pas comme cela, métamorphose qui ne se devinait pas, tant qu'on ne l'autorisait pas.
Au travers des nuages d'avec qui se joue le soleil, une danse d'ombres et de couleurs transforme le ciel en tableau abstrait, avec l'astre du jour à la manœuvre pour en faire un dessin parfait, mouvant, vivant, esquissant des formes et des signes qui ne cessent de changer en messages furtifs, mais immenses, pour le monde entier. Ce cache-cache aérien déploie la scène d'un théâtre dont les acteurs n'ont pas changé, mais dont l'ardeur et la créativité ne cessent d'émerveiller par la beauté de ce qui est partagé. Il n'est plus besoin ni d'écran ni programme annoncé, il suffit de laisser faire cette fascinante sarabande improvisée, miroir d'une pleine et entière liberté.
L'on a pourtant pas bougé de ce balcon, de ce lieu où se réfugie notre quotidien répété, mais ce qui se développe sous nos yeux émerveillés remet en cause tout ce que nous envisagions de la réalité, son uniformité, sa banalité, sa platitude et sa passivité. Les éléments de ce jour reversent nos certitudes ancrées, nous invitent à explorer autre chose que ce que nous croyions avéré, à sentir que peut se vivre quelque chose de grandiose, pour peu que l'on essaye d'y plonger, sans plus de lassitude, sans plus de regret, mais en observant d'un œil neuf ce qui a toujours été montré et que nous oubliions de considérer : que chaque acte, chaque interaction est source de nouveauté, du moment que l'on ouvre à cette possibilité, au lieu de se ratatiner dans la médiocrité.
C'est au tour du vent de s'inviter pour dégager cette masse de gris et de blanc qui bloquait toutes les perspectives qui ont pourtant toujours été juste sous notre nez. Le ciel azur n'avait pas disparu tout ce temps, il demeurait juste oublié, alors qu'un zeste d'envie et d'imagination aurait suffi à le réinviter. Le dévoilement de cette voûte céleste, sans plus de voile pour la masquer renvoie à ce miroir d'eau dont la profondeur à nouveau se manifeste, ouvrant à un voyage au cœur de l'atmosphère, sans plus besoin de fusée ni de lest, juste parce que, soudain, se sont invitées des couleurs et qu'à leur vision, s'est mise à vibrer une singulière émotion dans notre cœur, en une étrange et intense palpitation, en une irrésistible envie de bonheur. La redécouverte de cette émouvante pulsion nous envoie loin de toutes nos frustrations et limitations, nous montrant combien il est simple de redevenir vecteur, et de ses choix et de ses humeurs, sans plus qu'il soit besoin d'un semblant de lueur pour nous signifier de ne plus avoir peur.
Et tandis que nous hésitons entre ce haut et ce bas, ce ciel qui se déploie, ces reflets qui chatoient, nous vient en tête l'évidence que les deux sont liés et que nous sommes ce trait d'union entre la vie et l'éternité, perpétuellement grognons et insatisfaits, alors que tout nous est donné, alors que nous n'avons qu'à oser pour transformer chaque instant en pure joie partagée. Il n'est plus l'heure d'attendre que des cadeaux soient déposés à nos pieds, mais bien d'aller découvrir tous ceux que nous n'avons pas encore dénichés, en une chasse au trésor dont l'ampleur ne dépend que de l'énergie et de la curiosité que nous aurons l'audace d'initier, en acteur et moteur de notre propre félicité. Le monde que l'on explore n'est qu'à l'image de notre reflet : il renvoie la lumière que l'on y met.
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