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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Un dimanche

Dernière mise à jour : 24 déc. 2023


Un dimanche - Laurent Hellot

Le nom sur la calendrier ne devrait pas ainsi s'afficher ; en quoi la dénomination dominicale devrait imposer ce décalage par rapport à la semaine principale ? Regarder dehors ne change pas, que ce soit en fin ou début de mois, et cette appellation ne devrait pas porter plus à conséquence que cela.

Devant la fenêtre aux rideaux levés, le jeune homme se perd dans ces pensées, presque surpris que ce jour-ci induise ainsi immobilité et absence de bruit. S'il devait y trouver un intérêt, ce sera d'avoir peut-être pu dormir plus qu'à l'accoutumée ; mais pour le reste, il lui semble soudain se trouver au sein d'un mausolée déserté ou en gardien d'un musée fermé. Rien de tout ce à quoi son quotidien l'a habitué et, en ce jour, il a l'impression d'être presque enterré.

Se ressaisissant, le jeune homme fait, d'un regard, le tour de son appartement. Tout y est rangé, briqué, parfait, rien dont il ne puisse ou ne doive encore s'occuper ; même la lessive a été lancée et le linge repassé ! C'est dire à quel point il était motivé... ou désespéré. Il lui reste toujours l'option de se vautrer sur le canapé et de sombrer dans des programmes de télé décérébrés, possibilité qui le tente autant que de se recoucher. Il lui faudra décidément trouver une autre activité, pour ne pas avoir la sensation de sombrer dans un néant de silence et d'oppression mélangés.

D'un geste, le jeune homme attrape son téléphone et tente plusieurs appels à d'autres personnes, en un effort pour retrouver une socialisation minimum. Ses différents essais ne sont cependant pas concluants, tombant sur des répondeurs ou le néant. Il se dit que ce jour sera on ne peut plus frustrant et, de consternation, le jeune homme jure en se renfrognant. Il ne devra donc compter que sur ses dix doigts de mains et pieds aux fins de s'occuper, dans une quête à ne pas se sentir abandonné.

À la réflexion, la solution la plus simple serait de sortir et de partir découvrir ce que le monde pourrait offrir, sauf qu'en ce dimanche particulier, tout est bien sûr fermé. Il n'est pas dans ces grandes villes à la frénésie exacerbée, mais dans un endroit où les commerçants ont acté qu'ils ont le droit de se reposer, au détriment de leurs clients peut-être, mais pour le respect de leur santé ! En s'écoutant, le jeune homme ne se sent pas l'envie d'errer dans ces rues désertées juste dans le but de s'occuper, et l'esprit, et les souliers. Cela ferait sûrement le plus grand bien de ses poumons et de ses muscles non optimisés, mais s'il s'agit juste de se balader le nez au vent, il considère avoir passé l'âge de se l'imposer. Foin des quêtes dans l'espérance de se confronter à ce qu'il n'avait pas imaginé ! Aujourd'hui, il voulait du chaleureux et du familier, et il se retrouve à contempler son plafond sans intérêt.

Une ombre fuse au travers de la pièce, écho du vol d'un oiseau qui file à toute vitesse et vient animer les images qui se succèdent dans la tête du jeune homme, à présent perdu dans les nuages, à ne pas chercher comment s'occuper, naufragé volontaire sur son canapé, s'étant résigné à ne plus rien faire, ne plus bouger ; ne plus penser aurait été salutaire, mais il lui est plus que difficile de ne pas se contempler, de se voir tel qu'il est, seul et ennuyé, incapable de se sortir de cette situation qui ne cesse de le contrarier. Il n'avait pas prévu de sombrer dans une telle léthargie, au point de morigéner.

Le silence reprend sa place et son espace. À son grand étonnement, le jeune homme ne ressent pas le besoin de mettre une quelconque atmosphère sonore, ni musique ou radio plus ou moins forte. L'absence d'ambiance s'est imposée comme une évidence, sans que cela ne lui fasse le moindre tort. Pour une fois, il n'est pas bombardé par une masse d'informations qui le noie et l'emporte dans leurs espaces, publicitaires, cela va de soi. Qu'il s'autorise ainsi à ne pas remplir la pièce d'agitation ou de bruits de tous côtés ne manque pas de le surprend, au point de se demander s'il n'y aurait pas un virus qu'il serait en train de couver.

De sa position alanguie, le jeune homme se demande soudain s'il est satisfait de sa vie, cette course vers le succès requis, cette urgence à être celui qui réussit, cette proclamation que l'on n’est rien si l'on n'a pas tout conquis. Dans cette posture avachie, il en rirait presque de ne plus correspondre à tous ces standards qu'on lui rabâche à cors et à cris, lui si prompt à s'intéresser à tout ce qui lui est soumis, lui si ardent à ne jamais s'arrêter tant qu'il n'a pas compris, lui le héraut de ces aventures infinies. Ne rien faire, ne rien tenter, ne rien oser ; serait-ce donc une telle déchéance que l'on en soit marri ?

Se redressant sur son séant, le jeune homme se prend la tête, perplexe et vacillant ; une vague de lassitude vient de le frapper en un instant, déferlant sur lui comme une meute de loups hurlants, révélation violente et évidente, en même temps. Le poids de toutes ces injonctions le frappe et occupe la pièce du sol au plafond, ce besoin d'excellence, cette nécessité de puissance, cette appétence de magnificence, comme si rien ne pouvait être trop haut ni trop beau pour combler ce vide de l'existence.

Face à ce choc, ce n'est plus le silence, mais une réelle révélation, intense, qui vibre à ses oreilles, en une transformation qui ne peut plus attendre la dégénérescence, cette période de la vie où l'on tolère enfin que chacun s'autorise ce qu'il a envie, après avoir révéré travail, famille et patrie ; sauf que dans cette trilogie, a complètement disparu l'individu et ses envies. Pour le jeune homme, il ne s'agit pas d'une fuite ni d'un renoncement, mais bien de choisir enfin ce qu'il veut, ce qu'il peut, et d’arbitrer entre les deux, et devenir ce qu'il a toujours appelé de ses vœux : le sentiment d'être heureux.

Se levant de son canapé, le jeune homme saisit un atlas et inventorie où il a toujours voulu aller, non pas pour s'échapper, mais pour avoir enfin l'occasion de retrouver qui il est, sans plus de subterfuge, sans plus de fausses tentations ni idées, juste lui, avec son quotidien rythmé à la scansion de ses pieds. Et tandis qu'il réserve son billet, préparant son sac dans la foulée, il se prend soudain à sourire, avec une immense sensation de liberté.

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