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Promesse

De cette fenêtre qui surplombe la rue, le vieil homme observe l’agitation et le chahut de ce marché d’automne, en un spectacle vivant dont il ne se lasse pas, depuis son premier emménagement. Cela fait des décennies qu’il domine ce flux de vies, cette rue piétonne qui, tout le temps, se transforme, d’un long ruban déserté une fois la nuit tombée, à une nuée de chalands, de terrasses, d’étales et de vitalité, dès que revient la journée. La question du bruit et de la tranquillité ne s’est jamais posée, le vieil homme ne considérant le silence que telle la fin annoncée, où le seul son qui perdurera alors sera celui de l’éternité. Se trouver au contraire au cœur des échanges et des interactions rappelle que le calme et le repos du dimanche n’ont de sens qu’après tous ces jours d’activité intense, où ce l’on fait se mélange avec ce que l’on est, en une parfaite complémentarité, à charge pour chacun de prendre ensuite le temps de se ressources. Pour le vieil homme, du haut de sa terrasse, ne rien faire est déjà exister, par le respect qu’il se porte à sa manière, en s’autorisant le droit de sélectionner où son énergie doit aller. S’offrir ainsi le spectacle d’une humanité en pleine fébrilité est aussi se rassurer sur le fait que la Terre continue de tourner.

En cette journée où le soleil vient baigner la rue de ses couleurs enjouées, la musique, les appels et les vibrations de la foule en ébullition font monter un air de fête aux fenêtres de ce salon d’où le vieil homme aime se mettre, à battants grand ouverts, pour être baigné de cette atmosphère. Il ne lui est nul besoin de scruter, d’observer ou de faire comme s’il n’en avait pas l’air ; entendre, écouter, se plonger dans les mouvements qui brassent l’atmosphère qu’il laisse pénétrer dans la pièce où il s’est réfugié lui offrent l’occasion de profiter à plein de cette énergie qui va le revivifier, comme un grand bain de jouvence que rien ne peut remplacer. Alors il savoure les échos de cette ville que les pavés, les façades lui font remonter, le renvoyant à une époque où c’était lui qui arpentait cette rue, qui aimait des inconnues, qui embrassait la joie entretenue, qui courait tant et plus. Il n’y a pas de regret dans sa posture, pas de mise en retrait ni de peur qui perdurent, mais au contraire le choix de ne laisser entrer que ce qui va l’emplir de gaieté, celle qui fait remonter les souvenirs que l’on adorait, cette nuée riche de danses et de plaisirs que l’on a partagés, qui déroule la voie de la fraternité.

La pièce où il est assis est à la fois pour le vieil homme un palais et un nid, riche de ses multiples vies, emplie de tout ce qu’il a appris, sur le monde et sur lui, durant toutes ces années où il ne s’est jamais assagi, toujours curieux, toujours ambitieux, toujours amoureux de ces paysages qu’il découvrait, de ces visages qu’il croisait, de ces ouvrages qu’il parachevait, dans une frénésie d’apprentissage infini, à la fois par goût mais aussi pour ne pas être celui qui aurait renoncé à mordre dans tous les fruits qu’on lui tendait. Cet antre aux trésors n’est pas de celui qu’il entend protéger, au contraire toujours ouverte à ceux qu’il ne cesse d’inviter, mais il n’en demeure pas moins unique, en un miroir d’une vie qui n’a jamais oublié de gorger des richesses d’émotions, de sentiments, de sensations, que seule l’expérience peut procurer. Ainsi, au cœur de ce tourbillon d’images présentes et passées, le vieil homme n’entend pas cependant se refermer dans ce cocon dont il pourrait vite se retrouver prisonnier, coupé des autres et de la réalité, à un âge où, au contraire, il a tout à partager, sans autre ambition que d’offrir, d’aider à grandir et progresser, ce qui fait le miel de l’altérité.



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Ce jour où le commerce se transforme en discussion sous les travées de stands alignés reste pour le vieil homme l’occasion de sentir et d’évaluer l’air d’une époque où tout est à la virtualité, en un effet de stroboscope qui incite à croire qu’un écran peut suffire pour croire que le lien est créé, alors qu’un simple interrupteur existe pour tout annihiler, en un acte vengeur basé sur des pulsions inavouées, celles où l’on ne s’estime plus du tout responsable ni engagé puisque, après tout, un simple « reset » suffit pour réinitialiser, et sa vie réelle, et celle fantasmée. Lui ne renie pas cette évolution d’un environnement qu’il a toujours vu changer, passant de la limite d’un champ de blé à celle d’un avatar pixelisé ; il s’en amuse au contraire, curieux de voir où tout cela va mener l’humanité qui devient d’un seul coup dépendante d’une basique prise d’électricité. Ses mémoires de soirées au coin d’un feu qui crépitait, ses randonnées où il n’emportait qu’un sac et une gourde pour se désaltérer, ses voyages où le billet ne passait pas par un site spécialisé, mais face à un comptoir où il fallait batailler avec un préposé distrait, dans une langue qui devait s’improviser, toutes ces expériences lui ont appris que le présent ne se construit que dans une réalité, de sueur, de labeur, de découverte inusitée, où s’autoriser le luxe d’être surpris fait partie de la chance qui nous est donnée, loin des algorithmes qui nous gardent dans un confort de préférences et de facilité, pour ne plus être dérangé.

L’immobilité ne lui sied pas, dans une étonnante instabilité qui ne l’a jamais quitté, et le vieil homme ne tient pas en place, sautant de son fauteuil à son canapé, puis au balcon auquel il vient s’accouder, totalement indifférent au fait d’être vêtu d’un peignoir bariolé, presque heureux, au contraire, de ne pas avoir à s’en soucier, n’ayant plus personne à qui plaire ni à amadouer. Sur ce pan de tribune improvisée, le vieil homme s’absorbe dans les formes, les couleurs et les sons qui s’en viennent l’entourer, dans une immersion source de bien-être et de bienfaits. Il n’est plus d’autre priorité que de se laisser caresser par la douceur du soleil, de s’imaginer la suite des bribes de conversations entremêlées, de s’offrir le luxe de croire que cet instant ne sera jamais enlevé, en un miroir bienfaisant de sérénité, du bonheur des heures rémanentes où aucun cycle n’est brisé. Il n’en faut pas plus pour que lui vienne une envie, une idée, un désir à accueillir et partager ; et voilà le vieil homme, indifférent aux regards interloqués, au contraire jamais aussi vivant qu’à ces secondes mémorables et remarquées, où il s’écrie, les bras levés :


« Faites-vous la promesse de rester un enfant à jamais ! »

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