Rebondissements
La virtuosité des situations qui ne cessent de se présenter nous offre la chance de pouvoir nous confronter à ce qui aide à nous métamorphoser.
La récurrence de ce que l’on ne s’ose pas de confronter nous propose la démonstration que l’on est de taille à le surmonter.
La comparaison d’avec d’autres qui sont sur le même chemin que l’on est en train d’arpenter nous permet de découvrir que l’on est toujours accompagné.
Du haut de cette falaise au-dessous de laquelle s’étend un à-pic aux proportions démesurées, il paraît impensable qu’une issue, qu’un moyen existe pour rejoindre ce jardin au loin, dont l’horizon s’étend jusqu’aux nuées. À contempler ce paradis, à observer ceux et celles qui y sont déjà installés, l’on est partagé entre la fascination et le désespoir de le voir ainsi à portée, sans idée, sans solution pour franchir ce passage obligé.
Coincé au bord de ce néant, à la limite de vaciller, il ne demeure plus que l’envie de pousser un cri déchirant, pour qu’au moins quelque chose ou quelqu’un s’en vienne nous aider. Après toutes ces épreuves, après tous ces chagrins, après toutes ces années, il paraît injuste, inconcevable que l’on soit ici relégué : aux portes de cet Eden, à pouvoir le toucher, et pourtant, comme attaché par des chaînes, sans possibilité de bouger.
Les pieds dans la vide, la tête dans les pensées, il ne reste plus que de s’asseoir et de patienter, pour ne pas par mégarde basculer, et se laisser entraîner par tous ces poids que l’on n’a cessé de porter durant cette traversée, aux confins d’un monde que l’on a oublié, pour se donner le droit de se réinventer, sans plus de limite, sans plus de barrière, sans plus de maître pour nous freiner.
L’air est paisible pourtant, et le soleil généreux, baignant de sa chaleur notre corps souffrant et l’enrobant de cette douceur que l’on appelait de nos vœux, en un espoir fou qu’enfin l’on n’ait plus à supporter des coups, mais qu’une caresse, peut-être, vienne se poser sur notre cou, en un message généreux et doux, en une démonstration que l’on a aussi le droit de ne pas finir à genoux.
Les nuages qui défilent dans le ciel nous semblent presque accessibles, démontrant en un clin d’œil facile combien nous avons gravi et dominé ces obstacles, ces épreuves que nous propose la vie, en refusant que notre quotidien soit recouvert d’un linceul et que l’on y finisse enfoui, enterré vivant sous nos regrets et nos remords de ne pas avoir osé franchir ce pas avant : celui de décider de devenir plus grand.
Les parfums et les murmures du paysage environnant nous rappellent notre place au sein de cette Nature que l’on ne considérait pas pourtant, obstiné d’avancer, obsédé de continuer dans la crainte de nous effondrer si l’on s’arrêtait. La musique qui monte de cette symphonie improvisée nous ferait presque trembler de la tête aux pieds, comme saisis d’une indicible vérité.
Dans cette posture immobilisée, ni désireux de renoncer ni disposé à continuer, l’on se retrouve à la lisière de qui l’on est, habité par tout ce que l’on a traversé et impatient d’enfin pouvoir se reposer, non pas pour abdiquer, mais au contraire pour être à même de tout raconter, les histoires, les épopées, les fuites, les secrets, pour les partager et montrer la voie à ceux qui voudraient.
Dans cet instant où plus rien ne semble se réaliser, où tous les projets sont à l’arrêt, où l’énergie et la joie déployées ne paraissent plus que des souvenirs dont l’accès nous est à présent fermé, comme si l’on avait refermé cette porte et jeté la clé, la lassitude et la fatalité ne sont plus que les évidences vers lesquelles se tourner, tel un cerf dans la forêt, acculé par une meute qui n’est là que pour le désespérer.
Dans ce no man’s land où personne n’est enclin à s’intéresser à notre présence, nos envies ou nos souhaits, il ne reste plus que le silence au lieu de s’exprimer, habité par une latence que plus rien n’a l’air de vouloir accompagner, en une sorte de parade dont tous les participants se seraient tous fait excuser, sans même se coordonner, trop occupés par leurs propres priorités.
Il n’était pas prévu que cette falaise se situe entre notre départ et notre but, pas plus que l’on imaginait devoir un jour tomber des nues, en une sorte de paradoxe de n’avoir pas voulu ce qui nous est montré, mais tout autant déçu de ne pas réussir à y accéder.
Il n’était même pas envisagé que l’on puisse un jour devoir se retrouver à hésiter entre se lancer dans le vide ou passer le reste de son existence à pleurer.
Il n’était surtout pas pensé qu’un choix pourrait devenir si vital, au point de nous paralyser, incapable d’avancer ou de renoncer.
Il ne reste plus qu’à s’abandonner alors, de s’en remettre à un monde et à ses trésors, de surprises, de méprises, puisque de nos potentialités, plus rien ne sort.
Il n’est plus qu’un choix qui se dissout, puisque nous ne réussissons plus à imaginer quoi que ce soit, de sage ou de fou, au bord de ce que l’on voit autour de nous.
Il ne demeure plus qu’à acter les limites de ce en quoi l’on croyait, cet élan, cette fuite en avant, légitime, mais sans réel projet ;
Et tandis que nous fermons les yeux, tout nous paraît léger.
Et tandis que nous renonçons à nos vœux, l’apaisement se fait.
Et tandis que nous flottons entre deux, nous reprenons pied.
C’est un oiseau, rouge et gris, qui vient d’abord nous titiller par son vol et par ses cris enjoués.
C’est ensuite l’odeur de la terre, riche, fertile, qui embaume tout l’espace qui nous est donné, en un parfum incomparé.
C’est enfin la fraîcheur d’une eau qui chatouille nos poignets, comme si l’on avait plongé nos mains dans une source cachée.
Le monde autour n’a pas changé, mais nous avons pris la place qui nous revenait.
Le paradis n’est pas celui que l’on voyait, mais celui que l’on crée.
L’aventure n’est jamais finie, mais ne fait que s'inventer,
au sein de cette vie que nous avons choisie, belle, unique, magnifique,
celle que nous osons explorer, dès que restons émerveillés.
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