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Recroquevillé


Recroquevillé - Laurent Hellot

Allongé par terre, les yeux perdus dans cet espace qui entoure la Terre, l'homme n'en a plus que faire, de se lever et de continuer, de se battre et d'explorer, de se tenir debout et d'exister. Tout ce qu'il a accompli jusque-là ne lui a donné que de trop brèves gouttes de félicité pour s'en contenter et abreuver sa soif d'identité ; tout ce temps, toutes ces années, et la présence toujours de plus en plus intense d'un sentiment d'absurdité, dans ses actions, dans sa direction, dans ses ambitions. S'il a certes pu se voir gratifié de quelques succès, intenses, brillants, avec une sensation de satisfaction immense, ceux-ci ont fini par s'évaporer aussi vite, à l'inverse du temps qu'il avait mis pour les concrétiser ; l'éphémère lumière qu'il a soudain vu passer lui a fait croire qu'elle brillait pour l'illuminer, alors qu'il ne s'agissait que d'un rayon qui s'est au plus vite dissipé, absorbé par une masse de nuages sombres qui n'attendaient qu'une occasion pour l'étouffer.

Alors rester sur ce sol, attendre que son âme s'envole vers des paysages où il n'aura plus à supporter cette rage qu'il s'en monter, d'avoir pourtant fait du mieux qu'il pouvait et de ne se retrouver qu'avec une écrasante solitude et des réponses qui ne viendront jamais. Que faire d'autre, après avoir tenté tout ce qu'il pouvait essayer, que ce soit par inspiration ou par volonté ? Si s'agiter ne conduit qu'à cet état désespéré, il ne sert plus à rien de continuer à croire que le monde aurait un sens, et lui, une destinée. Les discours qu'on lui a tenus, les expériences qu'il a traversées, les personnes qu'il a rencontrées, tout cet enchaînement d'événements ne lui a servi qu'à faire durer cette course à la vanité, sans lui apporter ce qui ne paraissait pourtant pas disproportionné : un peu de bonheur, même en infinitésimale quantité.

S'il fut une époque où tout cela ne lui venait même pas à l'idée, plus absorbé par son avancée que par le sens qui aurait pu lui être donné, aujourd’hui, à présent que tout et tous l'ont abandonné, la nécessité vitale de cette cohérence à respirer lui emplit ses jours, ses heures, ses minutes, ses secondes sans arrêt, à la manière d'un cri strident qu'il ne réussit pas à arrêter. Le combat n'est plus contre les autres, leurs désirs, leurs volontés, mais bien contre lui-même, en impitoyable guerrier qui a toutes les parades, les esquives, les attaques et les emprises face à ce que lui pourrait opposer d'arguments, de discussions, de négocations pour ne pas sombrer dans le désespoir et la déraison. Quels que soient les efforts qu'il entreprenne, comme un prisonnier qui essaierait une ultime fois de rompre ses chaînes, l'écrasant poids de tout ce qu'il a déjà fait et oublié jusque-là finit de l'enfouir sous la masse d'un désespoir froid et le colle impitoyablement sur ce sol, en lamentable cancrelat.

Ce que l'homme observe au-dessus de lui, ce vide profond et infini, il le sent depuis si longtemps au cœur de lui, au cœur de sa vie, mais ce n'est qu'en ce jour qu'il le laisse le dévorer, tel un vautour qui ne demandait qu'à être rassasié. Il ne ressent cependant ni peur ni douleur, juste le besoin de ne plus entendre battre son cœur, métronome insatiable qui persiste à lui faire espérer que la vie pourrait enfin lui être agréable et de réinventer. Il a cru à ces lendemains meilleurs, à ces promesses de liesse et de chaleur, jusqu'à ce jour où il ne fait plus mystère qu'il ne s'agissait que d'un leurre, du moins pour lui seul, pendant qu'autour de lui d'autres vibrent d'enthousiasme et de ferveur. À cet écho d'ailleurs, l'homme ne peut s'empêcher de grimacer, en se demandant si, un jour, ces autres se retrouveront aussi dans la posture du supplicié que l'on a chanté et célébré, avant de l'ostraciser et de l'ignorer. Il ne leur souhaite pas de traverser ces déserts brûlés où la vacuité est l'unique source à laquelle d'abreuver, tant était dure et violente cette implacable et irrésistible descente de ces sommets espérés vers les abîmes de l'anéantissement programmé. L’énergie et l'obstination qu'il a dû déployer pour ne pas sombrer plus tôt avant cette journée est au moins la démonstration qu'il aurait peut-être pu se distinguer, si la chance lui avait donné l'occasion de se déployer. Non pas qu'il se plaigne d'un mauvais traitement qui lui aurait été infligé, juste que maintenant, il n'en a plus rien à carrer.

La sensation du sol sur son dos rappelle à l'homme tout ce qu'il a porté, d'espoirs et d'idéaux, au point d'en finir courbé sous le poids de ce qui aurait au contraire dû l'alléger, mais a fini par l'écraser à force de ne pas se concrétiser, comme si chaque échec, chaque perte prenait soudain corps pour le conduire sur cette voie à présent déserte, avec pour seul bagage tout le fardeau de ces mirages. Que ce soit incarnée ou fantasmée, l'existence qu'il a menée a laissé sa marque dans sa chair, comme autant de pointes acérées qui auraient été rougies aux feux de l'enfer et n'auraient jamais cessé de brûler. S'il a un temps essayé de les arracher et soigner les plaies qu'elles avaient laissées, maintenant, il renonce à toute velléité de prendre soin de ce qu'il reste de lui, mort-vivant qui aurait oublié qu'il ne peut plus accéder à la réalité. Ce constat n'est ni triste ni gai, juste acquiescement à une fatalité où les efforts qui pourraient être déployés ne vaillent pas les jours qu'il reste à traverser. Seul surnage le regret de toute cette souffrance accumulée et la douleur de ne plus avoir accès à la moindre douceur.

Dans cet état second, entre dissolution et abandon, l'homme ne porte plus attention ni à la lumière ni aux sons, juste concerné que ne puisse pas s'accélérer cette décadence qu'il n'a pas su empêcher, triste que son corps ait dû payer un tel tribut à ces rêves qu'il a fait germer, sans qu'aucun humus ne leur donne jamais la chance d'essaimer. S'il n'est pas encore enterré, il y a belle lurette qu'il ne se sent plus partie à l'humanité, juste bon à quémander la considération qui ne lui a jamais été portée. Prendre conscience à ce point de sa solitude et de son errance, alors que lui pensait avoir le droit d'aussi accéder à la jouissance ne donne que plus de matière à cette absence d'envie de continuer à arpenter cette Terre.

Prêt à tout quitter, sans espoir ni regret, l'homme ferme l’oeil, désabusé, n'attendant plus que le moment où il sera libéré, enfin, de ce fardeau qui ne veut plus porter.


Un bruissement d'ailes.

Un trille de notes en ribambelles.

Une agitation qui force l'homme à revenir au monde réel,


pour voir un rouge-gorge l'observer, dubitatif et guilleret.


Et tandis que l'oiseau se lance dans un chant de toute beauté, l'homme entend soudain, au travers de la mélodie partagée, les mots qu'il a attendus toutes ces années :


Tu n'es pas seul.

Je suis et reste à tes côtés.

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