Reprise
Lorsqu’on s’est rangé pour cette pause sur le bas-côté, on n’aurait jamais supposé que le temps décide soudain de s’arrêter, en une parenthèse qui nous a enfermés. Cet interlude qui ne devait durer que le temps de se ressourcer est en train de se transformer en prison dans laquelle on n’a plus les ressources de s’extirper. Se débattre n’a d’ailleurs plus de sens, en l’absence de bruit, de compagnie, dans ce silence infini. Il ne demeure que l’attente, vaine et vide d’espérance, que s’entrouvre une issue, autre que la désespérance.
Le lieu n’était pas planifié, une halte comme il s’en propose en variété, un endroit anonyme, pratique et vite oublié dès le voyage repris et l’objectif recalé ; sauf qu’à cette occurrence, la volonté a brillé par sa faiblesse patentée. Non pas qu’il n’y ait eu motif à se féliciter, mais les buts fixés se sont soudain évaporés, les trophées espérés se sont dissipés, les rencontres programmées se sont désabonnées, comme si chacun se rendait compte que le navire était en train de couler.
De ce qui devait être une source de régénération, il s’est invité à la place une sidération, de la vitesse avec laquelle cela a basculé, d’un ordre établi à un champ de ruines dévastées, sans préavis, sans pouvoir anticiper, à la manière d’une prestidigitation au sein de laquelle on serait le lapin serré au collet. Le constat ne s’est pas fait attendre, car il n’y avait rien d’autre à faire que de se rendre, avec armes et bagages avant que ne s’accentue le naufrage, l’échec affirmé à la face du monde entier.
De cette place de détenu improvisé, il ne reste plus qu’à faire l’inventaire des reliques du passé, ces amis qui n’osent plus vous contacter, ces souvenirs qui ne font que remonter des regrets, ces projets qui ne seront pas concrétisés, en un catalogue de banales calamités, un florilège de tout ce dans quoi on peut échouer, perdant non pas magnifique, mais pathétique, tant il se trouve désolé, incapable d’anticiper, lui qui restait plein de bonne volonté, brave petit soldat à qui l’on disait où s’en aller guerroyer.
La bataille est cependant finie, ou peut-être n’a-t-elle jamais commencé, à bien y regarder ? Ce que l’on prenait pour des ennemis n’était-il pas en fin de compte la projection de nos dénis, ces colères non exprimées, ces ambitions non assumées, ces talents non exprimés ? Dans la présente situation, rien n’apparaît cependant tenir d’une quelconque vérité, en l’état de cet abandon dont on ne comprend pas la finalité, sorte d’examen absurde sans note ni sujet, à part le fait de le traverser.
Il ne demeure plus que la litanie des pensées, un ininterrompu défilé de tout ce que l’on aurait pu éviter, peut-être en prenant cette voie, ou bien en acceptant cette offre-là, ou encore en renonçant à ce cadeau, cette fois ? Mais la succession des interrogations n’amène à rien de bon, juste le constat que l’on s’est fait avoir en grand format, tandis que tous ces autres continuaient leurs existences lambdas, alors que l’on s’efforçait de tracer de nouvelles routes à tout va.
Toute cette énergie dépensée, toutes ces richesses dilapidées, et tout cela pour finir sur ce bas-côté, non pas décédé, mais pire, en parfaite conscience d’être coincé, sans issue à part la désespérance qui s’est invitée, seule compagne fidèle que l’on n’effraie pas avec nos idées qui sombrent de plus en plus dans l’obscurité. De ce tête-à-tête ne sort aucune félicité, au contraire une effarante lucidité, de celle qui met en lumière la vanité d’exister, pour ne plus proposer qu’un piège qui s’est refermé.
Dans ce noir absolu, teinté de larmes glacées, les sons qui résonnent sont ceux de notre cœur abandonné, vide de sang, vide de chaleur, vide de vitalité, qui ne sert plus qu’à maintenir un corps sur ses deux pieds, vaillante mécanique qui n’a plus d’utilité dans ce no man’s land au sein duquel on a sombré. Ses battements ne rythment plus que les échos d’un isolement dont aucune sortie n’est annoncée, sentence dont la peine sera purgée pour l’éternité.
Dans cette cage dont on a la clé, tout à notre rage de la briser, de saisir l’opportunité de tout faire exploser, une graine germe en silence, de toute beauté. Tandis que l’on maudit le monde entier de cette trahison que l’on ne cesse de dénoncer, sort du sol un bourgeon, aux couleurs irisées, comme la plume d’un paon que la Terre aurait enfantée. Il jaillit sans un bruit, en dépit du fracas de nos hurlements désespérés, se lovant, s’élevant vers ce ciel qui ne cesse de l’appeler, empli de douceur, de chaleur, de lumière, guide et gardien mêlés.
Tout obsédé que l’on est à se plaindre et à vitupérer, courant de tous côtés sans même feindre que ce soit censé, à se taper la tête contre des murs que l’on se réussira pas à briser, il nous est impossible de remarquer cette merveille que la vie a enfantée, pour nous seuls et parce que le temps est arrivé que l’on se console d’une existence dont les limites étaient avérées, facile, certes, planifiée, mais sans plus le moindre intérêt au regard de nos capacités.
Ce n’est qu’à l’instant où l’on arrêtera de s’affoler que l’on pourra apercevoir enfin ce présent qui nous attendait, offert pour notre seule félicité, donné pour nous aider à grandir et à transfigurer nos peurs, nos doutes, nos terreurs, nos déroutes, tous ces freins qui ne mènent à rien, à part dans cet entonnoir où la seule couleur est le noir. Il ne sera pas temps alors de le cueillir, mais de le regarder grandir, parce que sa beauté sera le miroir qui nous renverra ce que l’on savait : que nos actes sont les germes de notre réalité.
Enfin apaisés, enfin rassérénés, nous pourrons alors sentir ce parfum que l’on ignorait, ce nectar qui va nous toucher au-delà de ce que l’on imaginait, métamorphosant nos capacités, irriguant d’une énergie illimitée, diffusant sagesse et vérité. Cette graine qui a éclos n’est pourtant que la transformation de toutes nos émotions, nos expériences et nos perceptions, engrangées durant toutes ces années où l’on respirait sans y penser, oubliant la chance qui nous était donnée de vivre à pleine intensité.
Il n’est pas question de la cueillir, mais de la considérer en totalité, pour la laisser grandir et devenir fleur, afin qu’à son tour, elle puisse, à travers nous, semer le désir, la joie et la fraternité, dans ce qui n’a jamais été une prison, mais le creuset alchimique de notre mutation, pour ne plus être ce soleil derrière une vitre, mais cet astre qui brille et rayonne dans toutes les directions, enfin maître et élève dans la même condition, heureux de renaître, en messager d’illumination.
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