Surprises
La tête dans les tissus, le petit garçon cherche à retrouver ce qu’il a vu. Il faut dire que son embarras est patent, au regard de tout ce tas de vêtements ; mais lui désire absolument remettre la main sur cette cape rouge au liseré blanc, qui lui a donné l’impression de se transformer en magicien, l’espace d’un instant. Plus il farfouille cependant, plus il a le sentiment qu’il a peut-être rêvé cet accessoire flamboyant. Au vu du nombre de robes, masques et autres chemises qu’il brasse, il n’est en effet pas faux de penser que tout ceci n’était qu’une apparition fugace.
Le petit garçon n’entend cependant pas se décourager et persiste à tout retourner, trier, évacuer de tous côtés. Ses efforts ne sont pour l’instant pas couronnés de succès, en dépit de l’énergie qu’il déploie à mettre la main sur cet étonnant objet. Un tas de fripes commence d’ailleurs à s’amonceler derrière lui, comme si ce coffre au sein duquel il a plongé générait des vêtements comme par magie, en un dégorgement illimité de tous les types de tissus qu’un humain pourrait porter. À regarder la variété de ce qui en a été extirpé, on pourrait d’ailleurs se demander si le trésor n’est pas cette cape en particulier, mais bien l’immense variété de tout ce qui a été trouvé. Le petit garçon n’en est pas convaincu pourtant ; à ses yeux, seul ce mystique accessoire paraît devoir lui apporter tout ce qu’il espérait.
Un grand soupir se fait entendre. Le petit garçon se laisse tomber sur ses jambes, à même le plancher, frustré et déçu de ne pas y arriver. Il secoue la poussière qui s’est amoncelée sur sa tignasse ébouriffée, et réfléchit à ce qu’il pourrait essayer. Retourner le coffre complètement ? Il paraît trop lourd et cela ferait un sacré boucan. Abandonner ses explorations vestimentaires ? Cette cape lui donne quand même un look d’enfer et ce serait dommage de ne pas l’ajouter à la collection de ses affaires. Demander de l’aide à sa mère ? Oh que non ! Il n’est plus un bébé et doit pouvoir se débrouiller. Toutes ces cogitations ne l’aident cependant pas d’un iota à avancer, et le petit garçon commence à sentir l’insatisfaction monter.
Au départ, il n’était pas du tout venu pour cela, dans ce grenier oublié. Lui ne désirait qu’explorer et retourner ensuite jouer dehors, au fond du jardin où se trouvent tous les accessoires qui vont bien, du toboggan, de la balançoire en passant par le bac à sable, tous ces points de repère rassurants qu’il connaît depuis qu’il est enfant. Sur une impulsion soudaine, il a pourtant décidé de rentrer dans la maison et de revenir découvrir cet endroit, ce qu’il n’avait jamais fait, au fond ; et ce n’est pas une lubie qui a jailli dans son esprit, mais un oiseau qu’il a vu voleter et passer au travers de l’embrasure d’une fenêtre dans ce grenier, visiteur inattendu qui l’a intrigué. Alors, il y est monté, sans autre ambition que de continuer à s’amuser.
Assis sur le sol, le petit garçon peste et se désole. Il était très heureux à batifoler au beau milieu de ce jardin et de tous ces jeux ; pourquoi diantre se sent-il à l’instant si triste de ne pas retrouver cette cape qu’il appelle de ses vœux. Il reconnaît que lorsqu’il est monté, il était d’abord intéressé par cet oiseau qui s’était faufilé, avec le secret espoir de l’attraper. Dès qu’il a pénétré dans la pièce, il a entendu ce bruit d’ailes et a vibré d’une liesse, cette sorte de joie que l’on perçoit quand on découvre un cadeau que l’on n’attend pas. Il a aussitôt couru partout pour dénicher de volatile impudent et découvrir ce qu’il était vraiment : mésange, hirondelle ou coucou ? Ou un simple merle qui fiche son bec partout ? Mais le bruit ne s’est plus manifesté, et le garçon s’est lassé, portant alors son attention sur tous les objets qui l’entouraient : un mannequin de couture oublié, de grosses bonbonnes en verre pour des liqueurs périmées, une tonne de livres empoussiérés, et puis ce coffre, qui l’a aussitôt attiré.
S’il reprend le cours de sa journée, le petit garçon serait surpris de constater combien elle a varié. D’un point de départ habituel, avec tous ces petits rituels, se lever, se laver, petit-déjeuner, lire un tantinet et puis s’en aller gambader, il a suffi d’un simple oiseau pour que tout cela ne présente plus aucun intérêt et qu’il se retrouve avec une envie qui ne l’avait jamais jusque-là préoccupée. Des habits, il en a plein de tous côtés, de toutes les couleurs aussi, du sobre au bariolé ; alors pourquoi donc cette cape serait-elle devenue d’un coup la priorité ? Par et pour le coffre d’abord, bien sûr : ses panneaux de bois clairs, son cerclage de fer, sa masse imposante comme s’il s’agissait d’une baleine blanche impressionnante. Dès qu’il l’a aperçue, il n’était plus question de distractions déjà vues, mais au contraire de plonger dans l’inconnu, avec son lot de pirates, d’aventures et de rébus. L’excitation a dépassé tout ce qu’il avait vécu.
S’en approcher aussitôt ; faire tourner la clé rouillée avec des frissons dans le dos ; lever le couvercle avec le fol espoir d’avoir accès à des joyaux ; et sauter de joie en découvrant beaucoup mieux que cela : une tonne de déguisements pour se réinventer de haut en bas. Le petit garçon n’en revenait pas ; il n’avait aucun souvenir que tous ces accessoires étaient cachés là, et à considérer l’ampleur du choix, il ne se retenait presque plus de chanter à haute voix, d’autant qu’il était seul pour en profiter et qu’il aurait tout le loisir d’y retourner quand il le désirerait. Il avait aussitôt farfouillé dedans, à la manière d’un indécrottable gourmand, joyeux et curieux de tout ce qui apparaissait à chaque instant : un chapeau à plume d’autruche immaculée, une ceinture de cuir au fermoir doré, une robe à paillettes colorées, un éventail aux reflets nacrés... C’était la caverne d’Ali-Baba, avec lui en génie pour distribuer.
Et puis le petit garçon l’avait touchée : cette cape aux éclats moirés, avec cette bande finement ouvragée. En la prenant à pleines mains, elle lui avait paru illimitée, à la fois tapis volant incroyable, rideau de théâtre improbable et promesse de métamorphose inimaginable. Dans ses souvenirs, il l’avait ensuite juste reposée sur le côté, à la fois fasciné qu’elle soit dans la réalité, mais tout autant tenté de continuer à inventorier le contenu de ce coffre à secret. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il avait éternué, le nez chatouillé par les grains de poussière qui voletaient, manquant de s’assommer. Le temps de reprendre ses esprits, il lui avait semblé que s’écoulait un temps infini, le plongeant dans les méandres d’univers inattendus, avec le sentiment d’être à la fois là-bas et ici. Et quand, enfin, il est revenu à lui, la cape n’était plus là où il l’avait mise.
Encore déboussolé et tout autant frustré, le petit garçon s’apprête à renoncer et à retourner jouer dehors avec une pointe de regrets. Posant la main au sol pour se relever, il sent alors la douceur d’une étoffe qu’il n’avait pas remarquée. Regardant de quoi il en retourne, quelle n’est pas sa stupéfaction de constater qu’il s’agit de la cape, dont certains pans reposent sur le plancher, et qu’elle est en plus posée sur ses épaules, de manière délicate et organisée !
Se levant d’un bond, le petit garçon se met à danser, chanter à tue-tête, comme s’il devenait soudain l’initiateur d’une fête ; et voilà que les trilles d’un oiseau s’en viennent l’accompagner, celui-là même qui l’avait guidé. Tout autant surpris que ravi, le petit garçon s’arrête, saisi ; et dans un élan vivifiant, il ouvre la fenêtre et crie à tout vent :
« Je suis un superhéros maintenant ! »
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