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De l'autre côté


www.laurenthellot.fr - De l'autre côté

Les vagues se succèdent sans arrêt, murailles d'eau et de sel qui n'incitent pas à aller se baigner. Sur la plage où il se tient, la jeune fille ne peut retenir un soupir de dédain, elle qui envisageait d'affronter cet océan. De sa position de vigie, elle aperçoit cet ilot qui la nargue sans un mot, comme si sa position indomptable le rendait invulnérable, ce bout de sable et de rocs qu'elle entendait précisément conquérir d'un bloc, en cette matinée de vacances d'été ; mais face aux déferlantes qui lui barrent le trajet, elle se sent frustrée de ne pas pouvoir accéder à ce qu'elle voulait. Non pas qu'elle ait en face d'elle un tsunami, un mur aquatique qui l'empêcherait de rejoindre de bout de terre isolé et couvert de berniques, mais elle avait prévu de nager sans se presser pour ne pas s'épuiser et pouvoir se reposer une fois conquis son trophée. La houle manifeste de ce matin, les légers embruns risquent de l'épuiser et de la contraindre à renoncer, en une défaite pitoyable pour son ego et sa volonté.

Une mouette rieuse passe en ricanant au-dessus de la tête de la jeune fille, qui attrape aussitôt du sable et le jette à l'oiseau qui s'est déjà éloigné dans le vent. Bien que consciente que cet animal ne s'est pas moqué d'elle personnellement, elle ne saurait tolérer le moindre témoin de son inassouvissement et avait besoin de libérer son énervement, d'autant que cela ne résout en rien sa situation actuelle, à part acter qu'elle n'a pas renoncé à son échappée belle. Cet ilot qui lui fait face la nargue en effet depuis des années, petit monticule qu'elle contemplait comme une excroissance sur l'horizon qui ondule, en une réminiscence des ambitions de son enfance ; conquérir de nouveaux territoires, traverser le miroir, de prouver que l'on peut construire sa propre histoire et ne plus être le spectateur frustré de sa réalité.

Cette journée devait être celle qui lui offrirait cette précieuse étincelle afin d'allumer la mèche de l'explosion qui allait la définir comme une rebelle, non plus similaire à tout ce troupeau qui se vautre sur cette plage, ventres et dos, mais un corsaire prête à conquérir toutes les mers. Constater ainsi que toutes ses ambitions se sont diluées dans cet océan sans fond, pour la simple et bonne raison que le vent s'est levé et qu'elle risquerait d'y passer la ramène à sa condition d'aventurière frustrée qui voudrait vivre sa vie plus grande que ce qu'elle n'est, et se retrouve renvoyée à ses limites et ses incapacités. Tous les grands discours axés sur la force d'une inébranlable volonté, sur l'ambition qui se doit se matérialiser par des gesticulations effrénées se voient d'un coup balayés par cette houle qui ne cesse de la narguer.

S'avachissant sur le sable, la jeune fille continue de fixer l'ilot qu'elle n'aura pas l'heur de fouler, alternant avec le drapeau rouge qui est dressé près de la cabine des maîtres-nageurs qui l'observent d'un œil circonspect ; ainsi, en plus de se retrouver dépitée, elle est maintenant l'objet de la risée de ces professionnels des marées. Il lui faut admettre que, des mouettes aux vacanciers,en passant par les habitués, tous sont témoins de son échec patenté, même si elle ne l'a pas proclamé, et cette idée de soudain devenir le centre des commentaires de tous ces gens qu'elle ne reverra pourtant jamais la laisse encore plus morigéner sur ce monde qui ne lui permet pas de montrer tout le potentiel qu'elle ne cesse de receler.

La journée était belle pourtant, et la jeune fille se faisait une joie d'enfin accomplir quelque chose de différent que le tout-venant, peut-être pas un exploit, mais à tout le moins un acte remarquable, même s'il ne s'agit que de conquérir un tas de sable. Non pas qu'elle s'ennuie dans son existence, mais l'idée d'y insuffler un zeste d'exubérance lui avait donné cet entrain de se lever d'un bond ce matin, prête à partir à la conquête de tous les océans, à commencer par celui qui bruissait juste devant. Cela lui donnait aussi l'occasion de transformer un quotidien un peu ronron et de se lancer dans un nouveau type de projet, juste pour le plaisir de dire après qu'elle l'avait fait. Sauf qu'à la façon dont ont bougé les rideaux lorsqu'elle a ouvert la fenêtre, elle a commencé à se douter que tout n'allait pas s'organiser comme elle l'avait envisagé. Sans se résigner, elle avait cependant couru vers la plage, prête à se plonger dans ces eaux familières pour enfin se prouver qu'elle était en capacité de les dompter, et se faire aussitôt rabrouer par la hauteur et la puissance des vagues qui sont venues la percuter.

Maintenant qu'elle doit reconnaître qu'elle ne pourra pas mettre en œuvre ce qu'elle envisageait, la jeune fille a bien du mal à retomber sur ses pieds, encore perchée en haut des rêves qu'elle avait élaborés et qui viennent de partir en fumée. Ce qui la surprend cependant est son incapacité à de nouveau se projeter, cette plage, ces vacances, cet ilot même ne présentant soudain plus aucun intérêt, même si elle pouvait remettre à demain ce qu'elle avait envisagé, ou se rabattre sur d'autres envies, de nouvelles idées ; mais elle se sent juste comme vidée, assommée par l'ampleur de son drame personnel, comme si cette contrariété l'avait butée et qu'elle ne se voyait pas réagir d'une autre manière que de bouder. La puérilité de sa réaction ne lui échappait pas, mais elle ne réussissait pas à la dépasser, presque bravache d'ainsi tout refuser.

Un bruit la force à sortir de son attitude contrariée, une sorte de crissement du sable qui se rapprocherait. Étonnée autant que perplexe de ce qui pourrait l'avoir engendré, la jeune fille se retourne pour tomber nez à nez avec les maîtres-nageurs tirant un dinghy coloré, lesquels la regardent avec un sourire amusé.

  • On vous emmène ?

Il n'est pas besoin à la jeune fille de répondre quoi que ce soit, après avoir sauté au cou de ses sauveurs venus jusque-là.

Et tandis qu'elle chevauche les flots sur ce presque bateau, la jeune fille ouvre grand les bras et crie un grand « MERCI ! », enfin reconnaissante d'avoir accès à cette jubilation qu'elle espérait, et consciente qu'elle a d'autant plus de saveur qu'il lui est offert de la partager.

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