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Distraction

Le rythme ne semble pas se ralentir, avec des agendas qui ne cessent de se remplir. Les obligations et les rendez-vous débordent de partout, sans laisser le moindre répit pour profiter de la vie. La cadence qui est imposée manque à chaque fois, de peu,

de nous faire imploser, petits soldats besogneux qui accomplissent tout ce qui leur est demandé. Il n’est même pas le temps de prendre une pause pour souffler que les commandes et les injonctions continuent de s’empiler, en une multiplication qui ne donne aucun signe de s’apaiser, exacerbation infernale qui fait défiler les journées comme les pages d’un journal que le vent ferait s’envoler.

Face à cette avalanche d’obligations, de contraintes effrénées, nous nous accrochons à tout ce que peut aider, la faculté de se nourrir, la nécessité de dormir, la possibilité de rêver pour s’enfuir, autant de pis-aller qui devraient pourtant se trouver au centre de nos priorités, et malgré tout relégués dans un coin du planning où les urgences ne cessent de s’empiler. Il n’est presque plus envisageable de s’autoriser un instant pour respirer, comme si l’on accomplissait une promenade avec un tsunami pour nous motiver, transformant cette balade vers l’horizon en un sprint pour ne pas finir entraîné vers le fond, sans même la capacité de se dire qu’il y avait peut-être une autre solution.

Aucun réconfort n’est accessible auprès de ces autres qui, comme nous, luttent contre cette pression invisible, au combat afin de mettre à bas un ennemi invincible, équipés en tout et pour tout de notre motivation, avec le sentiment d’être devenus des cibles, objectifs que de pléthoriques adversaires s’acharnent à confronter avec une facilité risible. Le plus frustrant reste notre incapacité à considérer la situation d’une autre manière que dans la précipitation, comme si l’on devait partir à la guerre avec une visière obscure qui nous descend jusque sous le menton, masquant, et la lumière, et la ligne de front, fantassins empotés qui ne peuvent que se faire laminer.


L’enthousiasme que nous mettions à nous occuper est aujourd’hui noyé dans la panique de ne plus rien contrôler, submergés que nous sommes par la déferlante de travail que nous avons nous-mêmes libérée de sa citadelle où elle ne demandait qu’à rester cloitrée, ni désireuse de nous dépasser, ni curieuse de savoir pourquoi nous tenons tant à nous noyer. Mais la masse qui s’est abattue sur nos épaules dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer, minuscules démiurges inconscients de la rage du volcan qu’ils venaient de réveiller, à présent galopant sans se retourner pour ne pas finir dévorés par les torrents de lave qui jaillissent de tous côtés.

Il est incompréhensible de revenir sur ce qui a été exhumé de ces tréfonds où rien ne devait interférer, cataclysme non réversible qu’il est inutile d’espérer à présent contrôler, tant sa force emporte tout ce qui s’essaye à lui résister, non par plaisir ou par dédain, mais par la simple considération que personne ne peut entraver la marche du progrès, monstre omnivore qui se délecte de nos fragilités, mais n’a cure de nos réalités, sur le chemin qui lui a été ouvert et qu’il emprunte pied au plancher. Le mieux que l’on peut faire est de prétendre accompagner ce mouvement qui paraît avoir sa propre volonté et contre lequel aucun argument n’est prêt à être développé.

À contempler autant que faire se peut la masse en mouvement qui manque à chaque pas de nous écraser, l’on se demande comment l’on peut encore être vivant face à un tel bourbier et ne pas avoir d’ores et déjà sombré dans le néant, emportés par notre fatuité d’avoir cru, ne serait-ce qu’une seconde, que nous étions en capacité de régenter ce monde. Nos ambitions de maîtres dominants viennent de se fracasser sur l’évidence que nous avons été imprudents, acteurs et spectateurs en même temps de nos propres tourments, infichus plus que de galoper pour donner l’impression d’un acquiescement à ce qui est en train de nous démantibuler.


Le plus surprenant demeure notre persistance à prétendre que tout va dans le bon sens, vers l’avant, alors que la direction prise est celle d’un gouffre dont on entend déjà les grondements, avertissements clairs et péremptoires qu’il est plus que l’heure de réinventer notre histoire et de s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Il n’a jamais été question de croire une seconde qu’il serait crédible de courir sans arrêt et sans se reposer, sauf à se mystifier et se leurrer, dans une prétention que la réalité est en sur le point de massacrer, non par vengeance ou facilité, mais parce que cela est le seul moyen pour que nous arrêtions de pérorer.

La mécanique qui est à l’œuvre ressemble à l’étranglement de tous les bras d’une pieuvre, avec nous en nageurs obstinés qui prétendons que cela ne va en rien nous gêner et qu’au contraire, il s’agit de tout ce que nous devions souhaiter, et même mieux, que nous avons nous-mêmes planifié cette asphyxie coordonnée. Tous les postures que nous affichons et toutes les paroles que nous énonçons ressemblent à s’y méprendre à celles d’un condamné qui demande à son bourreau ce qu’il est prévu pour le déjeuner, et s’il pourrait un zeste desserrer le garrot qui gratte un peu. Le ridicule de nos agissements ne paraît même plus atteindre les connexions de nos esprits brillants, comme si un court-circuit faisait prendre un oui pour un non.

Dans cette situation d’un ridicule mortel, où nous prétendons qu’il n’est pas d’urgence réelle, le sol se dérobe sous nos pieds et le ciel menace de s’effondrer, tandis que nous fanfaronnons que nous maitrisons la situation. Le décalage est si patent qu’il défie l’entendement, à croire qu’il nous faut finir paralysés pour entendre enfin qu’il ne sert plus à rien de bouger. Les mécanismes de protection, les panneaux indiquant la bonne direction, les guides généreux de bonnes intentions ont tous été snobés, dans une confiance aveugle en nos capacités, alors que nous avons tout juste appris à marcher, alors que nous voulons à tout prix sous élancer du haut de cette falaise pour voler.


Distraction - https://www.laurenthellot.fr/

À bout de propositions, à nous regarder brûler sur un feu, tels des papillons, il ne reste plus qu’une solution : imposer une majeure et incontournable distraction, de celle qui fait se cloitrer dans les maisons et reconsidérer toutes ses options. Il en demeure regrettable que personne n’ait été capable d’anticiper ce que le monde hurlait, sauf à ce qu’il nous explose au nez, à contaminer tous ceux qui persisteraient d’encore l’approcher sans le moindre respect, de le piétiner comme s’il n’y aurait pas de conséquences à assumer, de le ravager en espérant qu’une magie va le régénérer, alors que le simple bon sens aurait suffi à la rééquilibrer.

Il aura fallu la mort et le rappel que la vie n’est pas sans intérêt, pour que soit enfin considéré que d’autres moyens sont à portée que consommer sans limites posées, que galoper sans se ressourcer, que concurrencer au lieu de coopérer. La gageur de devoir imposer un fléau qui ne détruise pas tout et remette au cœur les idéaux semblerait sorti de l’esprit d’un fou, si cet inconscient-là n’est pas nous. Les ravages encombrants les cimetières et les hôpitaux ne sont que le visage de cette vérité que l’on s’obstinait à ignorer : que nous sommes fragiles et vite enterrés, à l’inverse de cette prétentieuse immortalité que nous clamons avoir méritée.

Quand nous sommes cette fois perdus et sonnés à ne plus savoir qui ni quoi, il est temps de revenir à soi, loin des peurs et des combats, parce que la lumière commence à briller par là, au creux de ces envies et de ces émotions où l’on s’autorise à écouter ces énergies et ces vibrations que le vacarme que l’on faisait enfouissait sous des aberrations sans intérêt. Que ce silence et cette immobilité permettent de revenir à l’essence de qui l’on est, sans plus de doute ni de question, mais à l’écoute et la perception de la route vers notre libération, celle de nos carcans d’obstination, de nos temples de la raison, de nos connaissances à foison, les erreurs fondamentales qui ont conduit à cette révolution.


Qu’en ces jours de renaissance, revienne alors à la conscience cette simple et basique évidence :


nous n’avancerons plus si nous ne respectons pas notre essence,

de joie et de gratitude immense.

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