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Dormir


Dormir - www.laurenthellot.fr

Dans son lit, le petit garçon tourne et vire, sans trouver le sommeil qui lui est promis. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir couru de tous côtés aujourd'hui, en une intense frénésie. S'il repense à sa journée, il a été plus que bien occupé, entre l'exploration des buissons au fond de l'allée, la dispersion complète de la malle à jouer et quelques pauses quand même, pour manger et goûter. Il a en plus fait un très beau soleil, ce qui l'a ravi et cuit aussi. S'il se concentre, il peut encore sentir la chaleur de sa peau rougie. Il faut dire qu'il n'a pas arrêté et que le temps a filé, et sans même le réaliser, il s'est retrouvé en fin de soirée ! Le rituel s'est donc mis en place, sans qu'il ait à discuter : salle de bain, pyjama et lit, dans cet ordre obligé. Non pas qu'il ait particulièrement sommeil, en vérité, mais il faut croire que ses parents ont d'autres priorités quand cette heure est arrivée ; et depuis qu'il est allongé, il ne cesse de contempler la lumière sous la porte et ses ombres portées, de compter ses doigts de pieds, de penser à toutes les constructions qu'il a encore à compléter, de la cabane qu'il a à peine ébauchée au circuit de voiture qu'il a commencé à dessiner avec des galets, une pléthore de chantiers tout juste ébauchés.

Sauf qu'il est dans un lit, à devoir rester discret.

Cela lui est déjà arrivé de se retrouver ainsi dans la posture d'un vaillant guerrier à qui l'on aurait demandé de rengainer son épée, alors que les combats ne sont pas du tout, mais alors pas du tout terminés. Il avait beau expliquer que la guerre faisait encore rage, qu'il devait libérer des otages, que sans lui, l'armée courait au naufrage, l'inébranlable vestale du foyer qui l'emportait n'a rien voulu lâcher, le conduisant à une défaite humiliante et à devoir se déshabiller pour une douche en pieds. Il a beau réfléchir à une raison, il ne comprend pas pourquoi il devrait finir dans l'obscurité et dans cette position, alors qu'il demeure tant d'activités dont l'exécution requière une totale disponibilité et pour lesquelles la nuit est sans intérêt, à l'inverse même, ouvre à pléthores de possibilités jusque-là jamais explorées. Rien que d'imaginer ce que pourrait donner une séance de chat perché avec une lampe frontale attachée, ou bien la dispersion d'objets fluorescents sur la terrasse juste devant, avec l'impression d'avoir atterri sur un nouveau territoire brillant, le petit garçon a soudain l'envie d'ouvrir la fenêtre et de s'échapper ; mais il sait que cela n'est pas une bonne idée, surtout qu'il a déjà essayé et qu'il a fini par se faire enguirlander.

À l'heure qu'il est, quelle qu'elle soit, le petit garçon n'a ainsi pas d'autre choix : dormir ou, à tout le moins, rester coi ; et s'il a réussi à tenir jusque-là, il n'est pas certain qu'il puisse continuer ainsi vers le matin. S'il s'écoute, il se sent en pleine forme, avec l'envie de faire des exercices et des exploits énormes. Il est hors de question que toute son énergie et ses idées à foison finissent par se languir ici, tandis que le monde continue sa ronde inouïe, avec des surprises à l'infini. Non pas qu'il n'aime pas sa chambre, mais ce qui lui est imposé à chaque fin de journée est toujours la même chose : lumière éteinte et porte close – une calamité, contre laquelle il ne trouve jamais la parade escomptée. Non pas qu'il n'a pas essayé, de se cacher sous l'escalier, de prétendre qu'il n'entend plus que d'un côté, de feindre une paralysée inopinée, mais aucun de ses stratagèmes n'a fonctionné. Dans un sursaut de courage, il a même osé se relever... Que n'avait-il pas fait ? Il se souvient encore de la tempête que cela avait déclenchée, et de ses oreilles qui ont sifflé. Quoi qu'il tente, il se retrouve immanquablement ici, dans le noir et porte fermée.


Cela ne lui convient pas du tout, sa vie est complètement gâchée !

La tête sous son oreiller, le petit garçon cherche une stratégie pour se rebeller. Il faut avouer que les précédentes n'ont pas été couronnées de succès, entre dessert évaporé et privation de télé. Il n'est pas sûr que persévérer soit une bonne idée, et pourtant, il est évident qu'il n'a pas sommeil et qu'on le brime dans sa liberté ! Pour quelle raison obscure l'oblige-t-on à rester dans cette prison de couette et de plaid ? La présence de son doudou n'adoucit pas du tout l'injustice qui semble s'acharner sur lui en particulier, alors qu'il a tant de talents à révéler, de bâtisseur, d'explorateur, de conteur ; et on le maintient confiné et muet...

Soulevant sa couette, il décide cette fois de s'en faire un toit et, à la lumière de sa veilleuse, de récupérer à droite et à gauche de quoi l'arranger ; la lampe de chevet en sera l'axe central autour duquel tout organiser, une boîte retournée servira de table en particulier, un coussin de renfort de renfort sur le côté. De lieu de repos, le lit se voit transformé en presque bateau, à moins que ce ne soit un vaisseau. Pour le petit garçon, le choix n'est pas encore tranché, tant il lui est nécessaire de tout répartir, ordonner au mieux de ses idées qui ne cessent de fuser, enfin en capacité de rendre vivant cet espace-temps ennuyant. Tout à ses élans, il pense plus à fuguer ni à protester, conscient qu'il avait déjà sous la main de quoi s'amuser, à un point qu'il n'avait pas soupçonné. Et le voici en pirate, en commandant, en spéléologue, en cuisinier, balayant l'ensemble des corps de métier, au point presque d'en être surmené, et de ne pas réaliser que ses paupières commencent à peser, ses gestes à être moins affutés, sa respiration à s'apaiser, son corps à s'affaisser ; mais non, pas du tout ! Il n'est pas fatigué !

Quand le soleil pointe ses rayons dorés au travers des persiennes encore fermés, il y a belle lurette que le petit garçon a sombré dans les bras de Morphée ; il ne l'a peut-être pas encore réalisé, mais les rêves qui le portent peuvent se vivre tout autant endormi qu'éveillé, en palettes de couleurs et d'énergies qui nourrissent qui l'on est.

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