Espoir
D'un regard par la fenêtre, la jeune femme ne voit pas de raison de faire la fête : un ciel gris et bas, une lumière qui n'est pas là, un thermomètre réglé au niveau froid. De sous sa couette, elle n'arrive pas à trouver une raison de se lever.
Se retournant et cachant la tête sous son oreiller, elle plonge à nouveau dans le maelstrom de la rumination de ses pensées, de sa vie qui ne prend pas la direction espérée, de ses rencontres qui n'apportent que déceptions sans arrêt, de son travail qui confond rendement et qualité, bref, un panorama que la météo du jour vient cerner d'un contour vaseux et déprimé. Les rêves qu'a portés la nuit écoulée n'étaient en plus que le fatras désordonné d'un cerveau surmené, incapable de plus faire le tri entre les désirs et la réalité, balançant tout en vrac, dans l'espoir d'y voir naître une vérité. Quelles qu'aient été les élucubrations qui s'y sont manifestées, elles ne laissent plus flotter au matin qu'un parfum de regret, avec la sensation de n'en avoir rien expérimenté ; à quoi bon alors se motiver à exister, à reprendre sa place dans une sinistre réalité ?
Les bras en croix, les yeux fixés au plafond, la jeune femme ne trouve pas de réponse à cette question, ce qui risque de bien de poser problème, n'ayant rien à faire qui l'entraîne ; aller marcher pour s'aérer ? Est-ce la peine de finir trempée ? Ranger l'appartement des placards à l'évier ? Quel intérêt d'accomplir cette corvée ? Téléphoner à des amies pour papoter ? Et se retrouver à geindre toute la journée ? Les différentes options qui sont passées en revue ne donnent à la jeune femme ni élan ni envie, avec la sensation d'être Eve expulsée du paradis perdu, désorientée et nue.
La douceur moite du lit, la musique qui résonne en boucles infinies, la matinée qui ne semble plus que monotonie ; pour la jeune femme, la seule perspective qui s'offre à elle est d'attendre le retour de la nuit, de ne plus nourrir de quelconque espoir qu'un événement va survenir et la sortir de cette atonie, d'accepter que ces heures seront mises par pertes et profit, de reconnaître qu'il n'y a rien de plus à faire que de faire semblant d'être ici, morte-vivante aux joues rosées, mais qui a perdu l'esprit.
Une ombre passe sur le plancher, dans la monocorde ambiance de cette journée ; son mouvement attire l’œil de la jeune femme qui a abdiqué. Le temps qu'elle se concentre sur le fait qu'elle est bien éveillée, sur le rappel qu'elle est seule dans l'appartement où elle est, l'apparition s'est déplacée à une vitesse inusitée, commençant à allumer quelques signaux d'inquiétude non dissimulés dans l'esprit qui, d'un coup, s'est mobilisé. Surprise par ce phénomène qu'elle n'arrive pas à distinguer, la jeune femme s'assoit alors sur son séant, ce qu'elle n'avait pas fait depuis que le soleil s'est levé. D'un regard scrutateur, elle fait le tour de la pièce, en un instant sur l'endroit où elle a vu cette ombre tout à l'heure, pile au moment où elle entend un bruit mat, le son de quelque chose qui est tombé sur son oreiller. Se retournant, elle n'a pas le temps de le conscientiser, que son cerveau a déjà émis un cri terrorisé : une grosse araignée vient de s'installer !
D'un bond magistral, la jeune femme a quitté la pièce et s'est réfugiée dans la salle de bain pour se calmer, riant à la fois de sa terreur pour un si petit invertébré, et honteuse de sa réaction, digne d'une demoiselle décérébrée ; mais elle ne va pas non plus se blâmer d'un réflexe qu'elle n'a pas pensé, et elle finit d'ailleurs par se convaincre que n'importe qui à sa place aurait filé sans discuter, non de peur, mais par la surprise engendrée par cette invitée non désirée. Il n'en demeure pas moins qu'elle se trouve à présent en nuisette dans sa salle de bain et qu'avant d'aller affronter cette intruse qui s'est incrustée, autant qu'elle prenne sa douche et s'habille pour se préparer.
Ainsi projetée de nouveau dans la réalité, la jeune femme reprend sa routine, comme si sa langueur n'avait jamais existé. La voilà qui se pomponne, prend soin d'elle, oubliant d'un coup toutes les lenteurs qui l'immobilisaient. Il ne s'agit plus de décider quel va être le sens de ce que l'on va planifier, mais de le faire pour ensuite le considérer. À travers ce rituel intime et personnel auquel elle n'avait jamais porté intérêt, la jeune femme retrouve l'allant et l'énergie qui semblaient l'avoir désertée.
Quand enfin elle a regagné son identité, la jeune femme ouvre avec un zeste trop de prudence la porte de la chambre qu'elle avait refermée, comme si cette pauvre araignée s'était transformée en créature sanguinaire qui n'avait plus qu'un seul objectif, la trucider. D'un pas prudent, la jeune femme franchit le seuil, les yeux rivés sur son oreiller, à la fois soulagée de ne plus y voir trôner l'intruse qui l'en avait expulsée, mais tout autant circonspecte de chercher où elle a bien pu se cacher. Il lui faut quelques instants pour l'apercevoir dans un coin du plafond, occupée à faire son déjeuner d'un moustique qui l'avait escagassée lorsqu'elle avait été se coucher. Perplexe de cette observation, la jeune femme remet à son pied la chaussure qu'elle s'apprêtait à propulser comme arme improvisée, regarde à nouveau l'araignée, et dans un élan spontané, ne peut s'empêcher de lui dire : « Merci ! ».
La jeune femme ne l'a peut-être pas réalisé, mais l'éradication de ce moustique n'est pas la seule chose dont Arachné l'a gratifiée : elle se tient maintenant debout, fourmillant d'idées et d'envies, de fierté aussi, face au défi qu'elle a relevé. Le ciel gris n'est plus un sujet, le temps frisquet sera l'occasion de ressortir ce joli manteau qu'elle avait remisé, l'absence de souhait de téléphoner est l'opportunité pour rendre visite en chair et en os à ces amis qu'elle n'avait plus croisés depuis tant de mois écoulés. Somme toute, l'espoir renaît !
Et tandis qu'elle déboule les escaliers pour aller à la rencontre de ce monde dont elle s'était extraite, la jeune femme prend une curieuse résolution qu'elle n'aurait pas envisagée si on le lui avait proposée : elle laissera cette araignée lui tenir compagnie, comme un rappel permanent de ne pas oublier de se sentir vivante, et de se remercier aussi de s'offrir ces émotions trépidantes.
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