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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Gouttes de pluie


Gouttes de pluie - Laurent Hellot

Au travers de la vitre, l'homme contemple la pluie, dans un ciel couleur d'huitre, glauque et pesant. De son salon, il ne réussit plus à se rappeler ce qu'était l’horizon, perdu dans les méandres de ses cogitations, en un poids qui l'entraine un puits sans fond. Voir ainsi se refléter hors de sa demeure ce qui lui pèse sur le coeur le surprend et le consterne à la fois, comme un miroir au sein duquel il n'en peut plus de se détailler, de haut en bas.

Se reculant, il se retranche sur son canapé, collé à la lampe allumée, dans l'espoir vain de retrouver un peu de cette lumière qui semble avoir tout déserté. Non pas qu'il se situe sous des latitudes où le soleil a cessé de briller, mais en ce jour particulier, toute chaleur intérieure ou extérieure l'a visiblement abandonnée. La seule idée de même sortir pour aller explorer de ces lieux où brille une joie artificialisée le répugne au point de grimacer ; il ne lui reste plus que ce refuge où le monde n'est plus invité, sorte de caverne moderne au sein de laquelle il peut rester prostré.

Un vague fond de musique lui tient un semblant de compagnie pour ne pas qu'à la solitude de rajouter la sensation d'avoir sombré dans un silence glaçant pour l'éternité. Si tant est qu'il habite au cœur d'une cité, on dirait que toute compagnie s'éloigne de lui comme s'il était contaminé, en une sorte de repoussoir de l'humanité ; à charge pour lui de se débrouiller avec ce au creux de quoi il est lové pour continuer d'exister. Le sentiment d'être vivant tend plus maintenant vers une pantomime désincarnée.

D'un coup d'oeil fatigué, l'homme embrasse l'endroit il se sent soudain enfermé. Des murs blancs, de larges baies vitrées, une vue sur des espaces aux arbres déployés : le lieu n'est pourtant pas la prison que l'on pourrait imaginer. Il n'en demeure pas moins qu'en ce jour, cela ressemble à un troglodyte qui aurait été creusé au fond d'une forêt oubliée, sans que l'homme ne comprenne pourquoi il se retrouve ainsi dans cette posture d'ermite non désirée, lui qui n'a pas prévu de finir de la sorte enterré.

Une plante posée sur une étagère attire son regard blasé ; les fleurs orange qu'elle déploie paraissent une provocation flagrante face à sa morosité, en un rappel que la Nature reste vibrante, pendant que lui sombre dans le néant caractérisé. Il n'a pourtant pas l'impression d'avoir abdiqué, mais au contraire d'avoir été en butte à tant d'oppositions qu'il ne sait plus à présent quoi encore oser, après avoir tenté tout et son contraire pour se dégager de ce chemin qui le conduit dans ce bourbier. Manifester ainsi une telle couleur et une telle beauté dans cette ambiance plombée tient d'une posture que lui-même a depuis longtemps abandonné, ne croyant plus un instant que son charme naturel serait la solution pour se sortir de ce guêpier.

Le crépitement des gouttes sur le rebord des fenêtres rythme la litanie des doutes qui lui traversent la tête, chacune portant son lot de questions à l'intérieur desquelles erre son esprit en déroute, à la recherche d'une issue, d'une sortie, d'une route vers laquelle tendre, en espérant qu'elles le conduiront hors de ce marasme une fois pour toutes, sans plus avoir à prétendre que ses journées sont de fête. En cet instant finalement, la météo est raccord avec ce que sa vie ne cesse d'être : une sombre histoire au sein de laquelle il perd la tête ; et encore ce constat ne serait pas dramatique en soi, si ce n'est que son corps suit cette même pente où personne ne l'arrête : une chute cul par-dessus tête.

Se relevant de sa posture écrasée, l'homme se remet au centre de son salon, comme le roi d'une contrée étriquée, incrédule de se retrouver dans cette position, à la tête d'un royaume qui paraît avoir rapetissé. Tout le remet face aux choix qu'il a faits, en toute liberté et qui pourtant le sont renvoyés en cette journée où le monde a l'air d'être pour lui arrêté. Un bref coup d’œil au dehors lui confirme que le temps n'a pas changé et que la pluie a bien décidé de rester invitée dans son quotidien, au point de presque le noyer dans les brumes d'une incompréhension disproportionnée. Avec l'arrivée du crépuscule annoncé, l'homme voit cependant poindre cette fois une multitude de lucioles que le jour ne permettait pas de révéler, tous ces autres voisins qui ont, comme lui, allumé leurs lumières, formant un kaléidoscope coloré au sein de l'obscurité. Ce qui n'était que tristesse et humidité devient soudain, par la grâce de ces singularités, autant de soleils qui n'étaient pas soupçonnés, constellations d'humains dont la réunion crée une galaxie de particularités.

Sur une impulsion, l'homme ouvre grand sa porte vitrée et sort sur son palier, fasciné autant que rasséréné par ce monde qui l'entoure et le réchauffe de sa proximité, alors que pas un ne se doute du rôle qu'il tient dans cette intimité. Les gouttes de pluie légère qui glissent sur son visage donnent l'impression d'un bain de jouvence qu'il n'avait pas imaginé, comme s'il était soudain lavé de tous ces doutes et de ses souffrances, pour peu qu'il sorte et se confronte à tous ces autres dont il a toujours été entouré. Sous cette pluie, dans cette obscurité, l'homme ne s'est jamais senti aussi vivant, alors que tout pourrait laisser à penser qu'il va finir trempé ; mais la sensation de douceur et d'apaisement qui s'en vient l'habiter le conforte au contraire dans cette évidence qu'il a besoin de se laisser guider par son intuition et non plus ses peurs à chaque journée. L'heure n'est plus à l'attrition, mais à l'exacerbation des sensations pour goûter à cet instant de partage immense où être solitaire ne veut pas dire finir isolé.

Ne tenant plus devant cette évidence, l'homme retourne à l'intérieur, mais pour prendre son manteau et sortir au beau milieu de la nuit d'un pas assuré : il est temps d'être lui aussi pour les autres cette lueur qui l'a réconfortée, quels qu'en soient le contexte et les hésitations dont il n'est plus important de se soucier.


Et tandis qu'il s'enfonce dans la ville d'un pas décidé, l'homme ne prend même pas conscience qu'il s'est mis à fredonner, un air de joie et de liberté.

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