Il ne s'agit que de continuer
La pluie vient de cesser, rafraîchissante et puissante ondée. Dans les vapeurs d’eau qui montent du sol s’échappent les souvenirs d’un été où la crème solaire et le parasol constituaient des accessoires obligés. La température commence à peine à baisser, adoucie par toute cette eau qui vient l’apaiser. Dans l’hébétude suivant cette soudaine quiétude, un oiseau se met à chanter.
Le ciel est en train de s’éclaircir, passant à la lumière après l’obscurité, comme si le soleil venait à nouveau de se lever, en une presque éclipse qui n’était pas annoncée. Les nuages s’échappent en filaments élancés, comme honteux d’avoir commis leur forfait, mais légers de ce qui les engorgeait. L’équilibre se pose à nouveau, subtile balance entre la chaleur et l’humidité.
Le sol hésite encore à décider, s’il est noyé ou hydraté, à la fois surpris et béni de ce qui vient de lui arriver. Des rigoles d’eau qui filent de tous côtés, il en laisse certaines le pénétrer et disparaître dans ses profondeurs, à la recherche de cette source qu’il tient cachée, vivifiante, turbulente, impatiente de se voir adjoindre la multitude de ces nouveaux bienfaits.
Sur le bord d’un étang, des grenouilles se mettent à croasser, heureuses et impatientes de l’exprimer, en une célébration de cette miraculeuse ondée. Leur monde entier peut une nouvelle fois exulter, de ce déversement vital et bienfaisant, ressource primale et crucial élément pour continuer à vivre, échanger et prospérer, en une danse que l’assèchement avait figée.
Les arbres laissent perler de leurs branches des gouttes que les rayons de soleil font étinceler, les transformant en kaléidoscope qui se serait soudain révélé. Les éclats de lumière projetés de tous côtés diffusent des raies de joie que le paysage accueille avec gaieté, métamorphosant les champs, les collines, les bosquets, en autant de décors étincelants que le jour vient de réinventer.
Les routes, les chemins, les sentiers ne sont plus les liens puissants qu’ils tissaient, mais une inédite cartographie d’un territoire qui s’est d’un coup modifié, coupé par tout ce ruissellement, de rivières, de flaques, de torrents improvisés, déversant leur flux pour l’équilibrer, débordant en rus qui n’avaient jamais existé, créant des jaillissements inattendus qui ne demandent qu’à pulser.
Il n’est pas dit que ne surgira pas une autre pluie dans la journée, au vu de l’imprévisible vent qui s’est mis à souffler. Quelques vaguelettes se dessinent d’ailleurs à la surface des mares, sur le lit des rivières gorgées, dans l’eau des fossés, signatures éphémères du changement qui s’est manifesté, là où avant, il ne jaillissait que poussières, cailloux et ondes de chaleur démultipliées.
Les envies oscillent entre une pause, le temps d’assimiler toute cette nécessaire pluie déversée, et un besoin que ces trombes recommencent à se déverser, tant a été longue l’attente et la souffrance de toutes de ces privations endurées. Cette indécision berce l’atmosphère d’une étrange pulsion, entre désir et répulsion, entre soulagement et pétrification.
La conscience qu’un tel dessèchement ne pouvait pas durer se manifeste par une telle violence à vouloir profiter de ces gouttes miraculeuses qui se sont déversées qu’il en devient presque impossible de se projeter dans l’après, en un présent qui ne devrait jamais cesser, emplissant de son état rémanent le passé oublié et le futur projeté, unique et vital équilibre qui ne devrait pas bouger.
L’éclaircie qui s’est invitée n’a pas pour objet de durer, évolution d’un temps et d’un climat qui est l’essence même du changement annoncé, gage de renouvellement et de variété. Cette pluie qui nourrit et qui vivifie n’est que la première phase de ce qui s’ensuit, chaleur ou froid, compagnons des jours et des nuits où se construisent et se répartissent les ressources et l’énergie.
Cette presque mousson qui a débarqué sans avoir été invitée n’est que la première annonciation des bouleversements qui sont en train de s’incrémenter, vagues successives qui vont déferler, en un flux qu’il n’est plus envisageable d’arrêter, tant l’élan a été donné, par ce qu’il est besoin de nettoyer, les souvenirs, les débris, les déchets qui n’ont plus leur place dans cette réalité.
L’acceptation de ce qui ne peut pas être changé est l’apanage de toute créature depuis qu’elles se sont invitées sur cette planète, à la fois enfer et paradis mélangés, où la moindre action revenait à décider de poursuivre ou de s’arrêter de vivre, fonction des désirs incarnés, des ambitions posées, des espoirs projetés, que la Terre accueille ou rejette selon sa volonté.
Le soleil et la pluie restent entremêlés, frère et sœur que la Nature a reliés, amoureux et étrangers, danseurs et guerriers. Entourés du vent qui ne les a pas quittés, ils se scindent et se fondent dans une fusion de toute beauté, se jouant des lois du temps et de la gravité, de l’espace et du conscient, pour ne plus offrir que le meilleur et l’inespéré : un arc-en-ciel qui traverse le ciel, archange déployé.
Face à ce message, face à cette réalité, il n’est plus question de fuir ou de renoncer. Il n’existe pas de refuge ni de plan B ; le monde se métamorphose, qu’on l’accepte ou qu’on persiste à le nier, emportant sur son passage toutes les illusions auxquelles on s’accrochait, en un essaim de lambeaux qu’il est inutile de retenir, au risque de se perdre dans ces ruines dévastées.
Sur ce qui est un matin comme il en sera des milliers, il ne reste plus qu’à ouvrir les mains et à remercier, cette chance, cette opportunité que ce changement propose à toute l’Humanité : la possibilité de persévérer et de continuer, avec ce qui importe seulement : ce que l’on est, entouré, aimé, accompagné, pour que notre existence soit à l’image de cette pluie, douce, rafraîchissante et inespérée.
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