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Photo du rédacteurLaurent Hellot

La fin du monde


La fin du monde - www.laurenthellot.fr

Il n'y a pas eu d'Apocalypse, de pluie de météorites ni de vagues géantes ; pas de tremblement de terre ni de scories déferlantes ; pas de cris d'effroi ou de sirènes hurlantes ; juste un silence à la blancheur glaçante.

La Terre ne s'est pas ouverte en deux, le sol ne s'est pas effondré sur un gouffre ténébreux ; l'humanité n'a pas disparu sous nos yeux, la famille, les amis n'ont pas été happés par un monstre hideux ; juste une solitude au ressenti douloureux.

La maison n'a pas été anéantie, les villes ne sont pas écroulées en débris ; les routes ont continué à dérouler leurs lacis, les paysages à célébrer la beauté de la vie ; juste une errance sans un bruit.


Il ne faisait pas de doute que ce moment allait arriver, avec la même certitude du passage du printemps jusqu'à un hiver glacé. L'évidence de cette échéance n'a pas rendu l'événement moins dense, n'a pas atténué les souffrances ; elle n'a fait que préparer l'esprit à cette connaissance, qu'il est des choses face auxquelles ne reste que l'impuissance, sans lui donner le mode d'emploi ou les outils pour traverser cet épisode intense.

La succession des années, toute cette expérience accumulée ne nous ont pourtant pas préparé à ce qui était annoncé, ce vide que l'on s'efforce de combler, cet abandon dont l'imminence n'a pas pu être repoussée, à la fois dans un légitime mouvement de résistance et un désespoir à la douce violence. L'état de sidération dans lequel on s'est retrouvé a au moins eu le mérite de nous autoriser de ne pas nous écrouler, nous laissant debout, incrédules et sonnés, mais encore dignes d'être considérés.

Se retrouver ainsi, isolé et groggy, sans capacité à sourire ni acquiescer constitue une expérience dont la confrontation nous fait douter de nos propres capacités, nous qui nous croyions capables de tout surmonter, mais ces eaux profondes au sein desquelles nous sommes en train de sombrer ne semblent pas offrir de point de repère ni de palier où nous pourrions au moins nous poser, pour nous demander de quelle façon remonter vers cette surface dont la lumière peine à présent à nous illuminer.

Dans cette situation, inédite et pourtant logique, dramatique et pourtant énigmatique, les ressources que nous pensions avoir à disposition se sont dissoutes dans le creuset de nos émotions, noyées comme au sein d'un puits sans fond. Nous avons beau chercher, il n'est pas de solution qui s'en vienne nous percuter, à tout le moins nous aider à ne pas nous sentir à ce point dépassés. Et cette incapacité à percevoir la moindre possibilité de réparer nous laisse des plus désemparés.

L'état de nos forces, de nos idées ressemble plus à un champ de ruines, même si, de l'extérieur, nous continuons à donner le change à tous ceux que nous allons croiser, brave petit soldat que rien ne fera flancher, alors qu'il se tient terrifié au fond d'une tranchée, tremblant de la tête aux pieds. Il ne se présente cependant nul adversaire à maîtriser : la bataille est déjà terminée, alors que nous espérions tout au moins apercevoir contre quoi l'on se battait.

Il n'était pas prévu que cette transition s'accomplisse dans cette plus complète capitulation, sans même son mot à dire ou une tentative de négociation. La soudaineté avec laquelle tout s'est enchaîné tiendrait presque du rêve plus que de la réalité, ne serait-ce ce sentiment déstabilisant de vacuité. Quels que soient les subterfuges que l'on aurait mis en œuvre, il est évident que cela aurait été équivalent à prier pour arrêter le courant d'un fleuve : simple marque de bonne volonté face à la nature à l’œuvre.

Pour qui nous sommes, femme ou homme, cet événement n'est pas le plus terrifiant, rien de plus que la vie qui va de l'avant, sans un bruit, sans un mouvement, comme un souffle de vent qui passe et disparaît sans laisser de trace, à part une sensation de frais sur nos faces. Et nous voilà malgré tout pétrifiés, comme si l'on avait été blessé, brutalisé et contraint de nous débrouiller afin de garder un semblant de dignité, bien que personne ne soit là pour nous juger.

L'estime que nous gardions de notre valeur s'est dissoute d'un coup, sans bruit et sans heurt, en une disparition hors de toute raison, comme si venait de s'envoler le toit de notre maison, sans préavis et sans explication, nous offrant de contempler le ciel du canapé de notre salon, étrange expérience, à la limite de l'irréel, alors qu'il n'y a eu ni blessé ni explosion. Et dans cette posture prostrée, nous n'osons plus bouger, de peur que se manifeste un autre improbable danger qui, lui, pourrait nous annihiler.

Contempler notre situation, compter ce que nous avons perdu pour de bon, réaliser qu'il n'est survenu rien de grave au fond, à part la perception que nous en avons.


Cet inventaire fait, cette évidence actée, cet étonnement assumé, il peut être temps maintenant de se relever et d'avancer, au lieu de continuer à se terrer. Cette attitude ne changera rien à la réalité et nous offrira au contraire de la conscientiser et de la dépasser, plutôt que de choisir de nous lamenter, sans le plus petit effet sur notre bien-être ou nos capacités.

De comprendre que le monde ne nous attendra pas pour vibrer, si nous persistons à rester de notre côté a le mérite de nous remettre sur nos deux pieds, nous renvoyant à un peu plus d'humilité, en une réactivité salutaire visant à nous faire reconsidérer ce que nous prenions comme une catastrophe, au pinacle de nos petites misères. Le soleil ne s'arrêtera pas de briller parce que nous avons le sentiment de vivre l'enfer, tout en étant pourtant encore en pleine lumière.

Après cette leçon, dure peut-être, mais salutaire, il n'est pas question de revenir en arrière de contribuer à pleurer un passé qui s'est déjà dissous en poussière. Cela ne servira qu'à alimenter notre ego mortifère, pour qui ce qui s'est passé constitue le cœur de notre univers, alors qu'il ne s'agit rien de plus que d'apprendre que personne ne peut nous arrêter, à part nous-mêmes si nous choisissons d'abdiquer.


Ainsi, nos enfants ont quitté notre giron, et nous croyons avoir touché le fond ?

À se demander qui, entre eux et nous, est encore petite fille ou petit garçon...


À notre tour, grandissons !

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