Matinal
Il est étrange que le réveil n’ait pas encore sonné, dans cette pénombre qu’aucun rayon de lumière ne vient éclairer. Dans cette pièce aux volets fermés, il n’y a rien à faire que d’attendre que le jour veuille bien se lever.
Riche d’une nuit qui vient de s’écouler, non pas paisible, mais de belle intensité, il paraît étonnant d’être ainsi prêt et de n’avoir comme perspective que de patienter, le temps que le monde daigne s’éveiller.
À l’écoute des bruits qui sourdent avec timidité, il semble en effet que rien ni personne ne soit prêt à se manifester, à part peut-être une chouette dont le hululement résonne et qui salue celui qui est prêt à la considérer.
Cet état de fait n’était pas anticipé, lorsqu’il s’est agi de se coucher ; fatigué à juste titre des aventures passées, il n’était envisageable que de récupérer pour être frais et disponible à ce qui allait s’annoncer.
Des préparatifs mis en place dans l’optique de se requinquer, l’hypothèse que le sommeil soit court, mais à satiété, n’a pas fait partie du plan qui avait été posé, presque trop prudent par rapport à ce qui était demandé.
Il n’apparaissait pas pourtant qu’un changement de rythme était prêt à s’imposer, dans cette routine dont la récurrence confinait à la banalité, presque une évidence que la répétition était ce qui était demandé.
Les rêves cependant ont été inusités : colorés, intenses, étonnants, de ceux dont les brumes flottent encore à vos côtés, bien qu’actifs et réveillés, avec le sentiment de n’avoir jamais tout à fait quitté ces mondes au sein desquels le voyage a été proposé.
Les souvenirs de ces images et de ces rencontres évaporées hantent encore la pièce au sein de laquelle le silence se fait, en dépit des frissons de joie qui inciteraient presque à chanter le bonheur d’avoir pu l’expérimenter.
L’idée que des univers entiers ne demandent qu’à être exploré égaye cet espace dans lequel on continue de flotter, ce no man’s land entre la nuit et la journée, comme un kaléidoscope qui chatoierait.
La posture à trouver n’est pas évidente, entre la possibilité de se recoucher et l’envie de se lever séance tenante. Les distorsions entre ces différentes impulsions donnent à penser que la journée ne sera pas de celle qu’il sera possible de planifier.
En dépit de ces ressentis, il n’en demeure pas moins que cette situation constitue un défi, mélange de satisfaction d’être prêt à sortir du lit, et de déception de constater que personne d’autre n’est prêt à faire ainsi.
Se retrouver de la sorte, coincé entre des draps et une porte, indécis quant à l’attitude à adopter revient à se considérer à nouveau comme un nouveau-né, contraint d’attendre que les parents l’entendent et s’en viennent l’extirper de la chambre à coucher.
À ce rythme et dans cette étrangeté, il devient presque risible de comprendre que tout ce que l’on a l’habitude de faire serait, en l’état, sans objet, au regard de l’incongruité de cet horaire.
L’examen exhaustif de tout ce que l’on pourrait tenter revient à faire l’inventaire d’une liste sur laquelle on n’arrêterait pas de biffer toutes les bonnes résolutions qui avaient été envisagées.
Quel que soit l’angle sous lequel on examine les possibilités, chaque conclusion est invariablement la même et sans alternative à espérer : il n’y a rien à faire, à part inventer ce que l’on n’a pas encore essayé.
Dans ce lieu que n’a pas encore atteint la clarté, il n’est plus besoin de bouger ; prêt et disposé à accueillir ce qui est en train de s’annoncer, il n’est plus nécessaire de s’en inquiéter.
Dans cet instant où rien n’est encore dévoilé, il n’est pas évident de ne pas se croire en décalé. L’absence d’indices ou d'explicitation sur la raison de cette réalité est au contraire la démonstration que l’on est exactement là où l’on devait.
Dans ce brouillard au sein duquel tout semble flotter, il n’est que de patienter pour que le souffle du matin qui est en train de se concrétiser lève le voile sur ce paysage qui n’a pas encore été exploré.
Ce réveil anticipé n’est pas une fatalité, mais bien la chance que l’on espérait.
Cette ambiance irréelle n’est pas à redouter, mais bien la certitude d’une nouveauté.
Cette solitude inédite n’est pas une obscénité, mais bien la naissance d’une singularité.
La nouvelle aube qui s’en vient se dévoilera auprès de ceux qui sont prêts à l’embrasser, éveillés, curieux et joyeux d’en être privilégiés.
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