Parade
Dernière mise à jour : 15 juin 2021
Il est étrange d'entendre toutes ces célébrations, assis sur ce fauteuil, du fond de son salon ; les uns et les autres portant les clameurs de nos succès ou de nos erreurs, les souvenirs de conquêtes ou de nos peurs, les inventaires de nos freins et nos moteurs. Derrière notre fenêtre, nous assistons à ces pugilats ou à ces fêtes, spectateur incrédule de toute cette agitation qui n'a pas lieu d'être, alors que nous avons le sentiment de ne plus savoir qui l'on veut être.
De constater toute cette effervescence ne nous laisse que perplexes, face à ces manifestations qui ne semblent pas avoir grand sens, hormis de caractériser une vocalisation sur notre présence. Nous n'avons pourtant pas la sensation d'avoir mérité en quoi que ce soit, ces défilés, ces combats, trop occupés à se rappeler la raison même d'exister, trop concentrés sur ce qui l'on est et ce que l'on fait.
Énumérer toutes les groupes et toutes les idées ainsi exposées à la volée, avec pour seul thème notre petite personne interroge et étonne. Il n'est pas dans notre souvenir d'avoir réalisé quoi que ce soit qui soit digne d'intérêt, encore moins de générer ce brouhaha au point d'envahir un pays entier, des bords de mer aux plus éloignés des sommets. Notre quotidien n'a même jamais été aussi peu facteur de singularité, à peine plus intéressant que celui d'un jeune retraité.
Observateur de ces discours enflammés, de ces déclarations tranchées, de ces anathèmes lancées avec notre personne pour seul objet, nous demeurons interrogatifs de la réalité même qui nous vaudrait tous ces superlatifs, tous ces commentaires, tous ces poncifs, comme s'il était besoin de nous voir désignés en un symbole face auquel se positionner, alors que nous n'avons strictement rien demandé.
Dans cette bulle que nous avons créée, ni ouverte ni fermée, simple filtre pour ne pas être envahi de ce qui n'a pas été souhaité, de ceux que nous n'avons pas invités, nous considérons si fragile notre condition, à la limite du basculement et de la disparition qu'il ne nous vient pas à l'esprit que nos aventures, notre petite vie puissent générer un tel embrouillamini, un si grand charivari.
Le résultat qui paraît s'afficher sous nos yeux, mixe de pugilats et de jeux nous fascine et nous intrigue, dans l'intensité de ce qu'il montre, dans la variété d’actions qu'il prend en compte, entre jugements et louanges, entre singularités et mélanges. Toute cette foule ne paraît pas avoir encore décidé si l'on doit être rangé dans la catégorie de démon ou d'ange, ou une nouvelle à élaborer.
De cette stature de spectateur que nous n'avons pas voulu occuper, nous voilà en position d'arbitre et de décideur pour imprimer l'empreinte que nous choisirons de marquer, sur le chemin que doit être arpenté, sur le destin que nous acceptons d'embrasser. Il semble d'un coup ne plus être question de réflexion ni de méditation, mais d'action et d'implication pour ne plus être cet ermite emmuré.
La confusion que l'on peut contempler au sein de tous ces êtres rassemblés nous paraît si étrangère à ce que l'on est que la surprise est sur le point de nous faire hésiter devant l'évidence qui vient de se manifester, d'une franche et claire vérité que pas un des ces participants n'a l'air de remarquer, trop absorbés à débattre du bon et du mauvais pour opter pour leur propre réalité.
De les voir ainsi tous s'égarer, mélanger ce qui leur appartient de ce qui est projeté, dont nous devenons et l'image et le reflet, dans le miroir de leurs rêves éveillés, il ne peut plus être question de patienter, mais bien de s'impliquer et de franchir ces murs pour se mêler à ces égarés et leur montrer ce qu'ils ont pourtant juste devant leur nez : tous les possibles et tous les trajets, au lieu de nous stigmatiser comme modèle ou comme plaie dont il faudrait à tout prix se rapprocher ou s'éloigner.
D'un coup, il ne fait plus du tout sens de rester passif et contemplatif, non plus par vocation ou par élimination, mais par une soudaine et naturelle impulsion, nous signifiant que notre place est au centre de cette parade, non comme roi ou bouffon, mais guide et libérateur de tous ces doutes et de cette confusion, pour que cessent cette absurde clameur et ces vaines éructations.
Ce surprenant défilé sous les fenêtres de notre demeure réservée nous pousse dans une direction que l'on n'avait pas imaginée, dans un tourbillon d’invitations qui nous donne enfin ce que l'on cherchait, cette saveur délicate de la vie en train de se déguster, ce parfum ineffable de secrets sur le point de se révéler, mélange grisant qui nous rappelle combien l'on s'était oublié de vivre et de vibrer.
Ce qui n'était au départ qu'une rumeur indistincte se transforme en une musique dont la mélodie n'est pas feinte, mais traduit tout ce que l'on ne s'était jamais dit, de vital, d'inavoué que cette parade inattendue vient de révéler, par son énergie frénétique, par son chaos orchestré pour nous sortir de notre léthargie et nous remémorer la raison de tout ce parcours que l'on a surmonté.
Extirpé et jailli de ce paradis qui nous isolait, l'on se projette alors dans une joie manifeste et une franche curiosité au cœur de ce peuple qui nous a invités, inconscient peut-être du cadeau qu'il nous a fait, d'abord préoccupé par ses propres besoins et ses uniques priorités, tandis qu'il nous offrait la lumière que l'on cherchait. Cette chance inouïe jaillie d'un capharnaüm généralisé nous démontre à quel point ce que l'on redoutait ne surviendra jamais, cette perte de repères, cette absence de légitimité, et que notre place est au contraire issue de cette folie improvisée, où notre expérience et notre sagesse innée nous imposent en révélateur de toutes les souffrances cachées pour les porter à la conscience et les apaiser, en accompagnant des égarés, des obstinés et des inquiets, afin de leur redonner la puissance dont ils se sont privés.
Et tandis que le monde égrène ses révolutions et ses mutations, nous sourions de ces changements fondamentaux, disponibles et éclairés dans ce labyrinthe dont nous avons la clé.
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