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Passage


Passage - www.laurenthellot.fr

La nuit qui est tombée s'affiche comme un voile d'obscurité, dense, opaque, avide d'absorber toute la lumière qui s'essaiera de la traverser. Dans le souffle du vent qui agite les branches des arbres au sein du paysage effacé, on entend les messages de toutes celles et ceux qui errent encore dans les nuées des doutes qu'ils ont semés, incapables de plus retrouver le chemin vers leur vérité. L'ensemble des perceptions est brouillé par ce spectre sombre qui ne veut rien lâcher, maître en son domaine de secrets et d'ombres, régent de la moindre tentative de s'en émanciper. Il ne semble soudain plus y avoir d'issue ni de fin à ce puits profond qui s'est soudain révélé, capable de dévorer quiconque ne prendra pas la mesure de l'abîme au sein duquel il se risque d'avancer, à la fois éclaireur et proie qui ne devraient pas errer dans ce piège prêt à se refermer. S'il est une forme de vie qui ose à s'exprimer dans ce creuset où tous les sons, les émotions sont transformés, elle progresse à tâtons, couverte d'une armure de la tête aux pieds. Le soleil n'est ainsi plus qu'un souvenir, de celui magique que l'on se raconte à la veillée, pour faire à la fois rêver et effrayer, que ce mythe demeure inaccessible, hormis dans les fantasmes éveillés.

Auprès de la moindre lampe, veilleuse, néon, au bord de tout ce qui peut éloigner cette abyssale perception, chacun s'efforce de ne pas penser à ce qui pourrait se tapir au creux de ce néant ritualisé, se concentrant sur les rayons clairs et bienfaisants qui pulsent dans le foyer de chaque maison, pour ne pas risquer d'être happés par ce vide et de ne plus pouvoir revenir vers tout ce qui fait que l'on se sent vivant, la chaleur, la joie, qui semblent être dissoutes dans ce noir-là. La sensation est proche de celle de se sentir comme en prison, sauf que personne n'a envie de sortir et de se perdre dans ce gouffre sans direction où tout est absorbé sans distinction, au point de ne plus exister en tant que tel, mais à la manière d'une mélasse dans un grand chaudron. La tombée de ce couperet à chaque fin de journée entraîne à la fois un soulagement de pouvoir se retirer et une peur de ne plus pouvoir revivre comme avant, lorsque le soleil brillait. Les instincts réflexes et les peurs ancestrales prennent d'un coup toute la place au centre du mental, comme si ce qui ne pouvait pas être appréhendé devenait soudain un effroyable danger, un suicide assuré si l'on avait l'audace et l'inconscience de s'y frotter, dans une complète perte de son identité, fondue dans un espace inconnu d'où plus rien ne pourra jamais s'extirper, irrémédiablement corrompue par ce qui ne pourra jamais être nommé. Du point de vue humain, soudain réduit à une archaïque animalité, la nuit ne devient plus un refuge, mais un danger.

Et puis il y a ceux pour qui cet état de fait n'est que l'autre face de la réalité, plus inattendue, plus perturbante, plus oppressante peut-être, mais dont la nécessité n'est pas à discuter, ainsi qu'une évidente transition pour que tout puisse se renouveler. Naviguer au sein de cette purée noire n'est pas remettre en question qui l'on est, risquer de finir démembré, mais au contraire de s'ouvrir à ce que l'on n'a jamais fait : oser s'abandonner, s'autoriser une autre manière d'exister. Plonger au sein de ces eaux troubles n'est pas se vouer à terminer dévoré, mais bien inventer une autre façon d'avancer, non plus en courant de tous les côtés, mais en progressant pas à pas pour ne pas trébucher. Slalomer de la sorte n'est pas plus lent ni moins mérité, au contraire invite à ne plus se référer à ce que l'on connaît, pour accueillir ce que l'on ne réussit pas à maîtriser dans ce noir complet : l'impossibilité de se fier à sa vision, qui s'emballe sous l'effet de l'imagination ; l'incapacité de marcher sans porter attention à ce qu'il y a sous ses pieds ; l'absence de dialogue réaliste si l'on n'est pas connecté avec l'autre à qui l'on entend s'adresser. Ce que le soleil brillant donnait pour évident devient soudain comme un nouvel enfantement. Le monde n'a plus cet éclat vif et cliquant, il devient perturbant et troublant, obligeant à définir ce que l'on désire vraiment, pour prendre les moyens de le faire naître dans l'instant, au lieu de le considérer comme évident, parce que visible et accessible juste devant. Le haut et le bas, le près et le loin, le dessus et le dessous, tout ce qui définit notre espace à chaque fois est d'un coup chamboulé pour ne plus constituer qu'une globale et centrale unité, dont nos battements de cœur rythment la réalité.

Alors dans cette nuit, cet espace où plus rien ne paraît à sa place, il importe de ne plus avoir peur, ni de trembler, pour ne pas créer le moteur de nos cauchemars qui vont s'emballer. Au lieu de hurler et d'aller se cacher, prenons le temps d'écouter et d'explorer avec nos perceptions ce que l'on ne peut plus visualiser, pour donner tort à notre raison, elle qui est persuadée que si l'on ne peut pas le voir ni le concevoir, cela n'a aucune chance d'exister. La chance offerte par ce chamboulement, qui ouvre à écouter, sentir, agir autrement est de nous pousser à ne plus nous reposer sur nos habitudes et nos lauriers, mais de choisir d'aller vers que l'on n'a pas encore expérimenté, pour s'y fondre et se l'approprier. Il y aura peut-être des chutes, des égarements, des incrédulités, mais chaque choc, chaque errement, chaque questionnement, sera l'occasion de tester une nouvelle façon d'envisager la réalité, non plus comme un catalogue où tout s'offre à à foison, mais un délicat décor où tout doit être jaugé avec le soin approprié pour ne pas confondre ses doutes avec ce qui s'en vient nous confronter. Il ne peut ainsi être question de faire fausse route dans un paysage où plus un chemin n'apparaît, parce qu'il se crée sous nos pieds, pas à pas, avec humilité. Et c'est en avançant, avec attention, avec délicatesse et avec émotion que l'on commencera à comprendre de quoi est faite cette obscurité : non pas de tous ces monstres que l'on y projetait, mais des rêves que l'on peut enfin explorer.

Quand enfin sera comprise cette évidence, que le monde n'a pas deux faces, mais une seule aux couleurs mélangées, alors il sera temps pour la Lune de s'allumer, pour illuminer ce que l'on dépeignait en enfers insondés, pour découvrir des paysages argentés, vibrants, pulsants d'une énergie que l'on avait oubliée. La nuit n'est que l'autre facette de notre identité où nous cachons ce que l'on n'ose plus regarder, alors que c'est dans cette obscurité sourde, dans ce passage obligé, que l'on trouvera notre lumière, l'étoile que l'on cherchait qui, lorsqu'elle se mettra à briller, prendra sa place au cœur des constellations de l'Univers entier.


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