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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Richesse


www.laurenthellot.fr - Richesse

Une pluie d'or et de deniers, une montagne de bagues et de colliers, une rivière de diamants et d'opales mélangés, en une vision idéalisée de tout ce que la richesse pourrait apporter de sécurité ; tout à son rêve doré, l'homme s'agite et se retourne dans son lit, omettant qu'il n'est pas réveillé. Il se voit plonger ses bras dans les monceaux de lingots, les piles de billets çà et là, heureux comme un roi, comme si tout ce à quoi il aspirait n'était rien d'autre que ce tas de monnaie. Tout à sa béatitude, il ne se rend pas compte que pas une once de ce trésor n'a de réalité, puisqu'il dort ; mais cela ne retient pas un instant la frénésie de son emportement, avide et glouton de tout ce magma de métaux précieux qui monte jusqu'au plafond : où pourrait-il être plus heureux, au fond, que dans cette situation ?

Et un bruit strident s'en vient perturber cet ineffable contentement ; un son qui n'a aucun rapport avec le tintement des pièces d'or, une sonnerie qui vrille l'esprit et intime l'ordre de se lever de son lit. Il en est en effet l'heure de retourner à son labeur.


Voyant une à une éclater ces bulles de félicité, l'homme assiste à la débâcle de ses fantasmes parfaits, tout son magot disparaissant dans un halo, celui de la lumière du jour qui s'est enfin manifestée et envahit la chambre, ainsi qu'une rivière aux étincelles enjouées, dans une danse de vie et de gaieté. Clignant des yeux sous l'éclat de cette réalité, l'homme se redresse avec difficulté, presque surpris qu'il ne soit pas entouré d'un monceau de soieries, de serviteurs en livrée. Il faut croire que son rêve lui tenait tant à cœur, que le retour dans cette journée revient à lui renvoyer que son existence n'est que froideur et fadeur. Et tandis qu'il se met debout, l'homme ne peut retenir une moue de dégoût, face à ce quotidien qui le rend fou, cet environnement qui ne lui parle pas du tout, cet avenir qui le conduit dans un trou. Descendre de cet Olympe fantasmé pour se retrouver dans cette pièce sans aucun attrait revient à plonger dans une piscine à laquelle aucune eau n'a été ajoutée et se fracasser contre la mosaïque glacée.

Se forçant à se motiver, l'homme attrape quelques habits et tâche de se redonner un visage qui sourit, même s'il sent bien que cela sera difficile aujourd'hui. Un bref coup d’œil à la fenêtre le rassure cependant sur l'état du temps, à voir le flot des rayons du soleil qui se déverse dans la chambre délaissée, à peine les volets poussés. S'il est un point positif en cette matinée décalée, c'est malgré tout qu'il n'aura pas à se convaincre qu'il n'est pas entouré de grisaille comme au fond d'un puits oublié.

Attrapant son portefeuille, ses clés, l'homme franchit le seuil de son appartement et ferme la porte, à l'assaut des escaliers. Une descente sans y penser, un bus à attraper, un bout de trottoir sur lequel cheminer, et le voici derrière son bureau, tel qu'il va le rester toute la journée. Face à l'écran qui ne cesse de clignoter, l'homme ne perçoit cependant encore que le reflet de son rêve doré, son voyage au sein de cet espace où l'argent n'est plus un besoin ni une menace, mais un jouet avec lequel s'amuser, sans plus avoir à se soucier s'il reste assez pour acheter à manger. Il a beau se concentrer sur les lignes des tableaux, les dossiers empilés de bas en haut, les échos de ses autres collègues, eux aussi enfermés dans leurs bureaux, en autant de prisonniers d'un salaire à gagner, il ne réussit pas le moins du monde à sortir de cette sorte de transe profonde où il se voyait le nabab premier, le roi d'un domaine où la valeur de son patrimoine n'est plus un sujet, où la vie n'est qu'une succession de dépenses sans compter ; autant d'affirmations hors de tout contact avec son existence telle qu'elle est.

D'un mouvement brusque, l'homme repousse son siège à roulettes et se rapproche de la fenêtre, en un déplacement presque enfantin, lui qui se présente en cadre dynamique à la conquête de demain. Cette translation ludique lui redonne d'ailleurs le sourire, qui s'affiche sur son visage comme la marque que sa joie pourrait revenir, si seulement il écoutait ce que ses envies veulent lui dire ; mais en cet instant, l'homme reste encore ce parfait petit employé au sein d'un établissement géant où l'argent est brassé toute la journée, mais ne bénéficie qu'à un infime nombre de privilégiés, cercle privé dans lequel lui et tous les autres n'ont jamais été invités. Ce n'est pas faute de se dévouer à la tâche, mais tous ces efforts ne permettent pas de monter dans les étages et d'atteindre cet Eden où tout n'est que lait et miel, comme si l'accès n'en demeurait réservé qu'à quelques élus se passant le mot année après année. Tout à ses réflexions, assis sur sa chaise au tissu râpé, l'homme sent monter en lui un profond sentiment d'exaspération ; il ne se sait pas dupe de ce jeu de société où le pouvoir n'est que peu partagé, mais en cette mâtinée, l'injustice de cette partie de dupe lui explose au nez, ainsi qu'une pinata dans laquelle il n'aurait pas frappée, mais dont le mouvement de balancier fait qu'il se la prend en pleine tête sans pouvoir esquiver.

Se levant d'un bond, l'homme cherche une façon d'esquiver la colère qu'il sent monter, sorte de rage qu'il aurait contenue toutes ces années, mais dont les débordements sont sur le point de l'emporter. Hurler n'est pas une option, pas dans sa situation, même s'il se serait agi de la plus efficace des libérations. Il ne reste plus qu'à ouvrir la fenêtre pour prendre un peu d'air et s'aérer la tête, à charge pour la douceur ambiante de remettre de l'ordre dans son esprit prêt à partir en guerre. Et c'est alors qu'il baisse les yeux, que l'homme aperçoit sur le sol du parking un éclat brillant mystérieux.

Ni une ni deux, voilà le parfait petit employé modèle qui quitte son bureau comme à tire d'ailes, non pas pour s'en enfuir, mais pour s'offrir la chance de ne pas imploser et de tout envoyer valdinguer. Il n'est plus de clients, de dossiers urgents, de chefs contrariants ; seule demeure cette curiosité ludique de savoir ce qui scintille comme une étoile magique sur ce sol à la couleur balsamique. Cela n'a pas une once de logique, mais après les rêves qu'il a traversés, l'homme a besoin d'un miracle pour se ressourcer et ne pas sombrer dans la fatalité.

Arrivé au rez-de-chaussée, l'homme ne sait plus trop s'il doit continuer. Somme toute, l'enthousiasme qu'il sentait est soudain retombé, tout autant que l'envie de remonter. À présent qu'il se trouve là cependant, autant aller vérifier ce qui l'a attiré, cette lumière qui a illuminé ses sombres pensées.

Jetant un coup d’œil alentour, l'homme essaie de se repérer. S'il se réfère à se position et à ce qu’il observait, l’objet devrait se situer de ce côté, juste à la lisière de ce pauvre arbre qui essaye de rappeler à tous combien cet environnement est bitumé et desséché.

Soudain, alors qu'un souffle d'air agite les branches de l'arbre qu'il observait, l'homme perçoit de nouveau l'éclat qu'il cherchait. D'un pas décidé, il se rend de ce côté, s'approche de l'endroit où l'étincelle a rayonné et reste surpris devant ce qu'il s'apprête à ramasser : une boucle d'oreille à pendant de cristal, au sein de laquelle se diffracte la lumière. Et le voilà qui éclate de rire devant cet objet, avec le sentiment que la Providence s'amuse avec qui il est.

Alors qu'il s'apprêtait à rebrousser chemin, sa trouvaille à la main, il aperçoit un sac dont la lanière dépasse du tronc de l'arbre, avec une femme assise juste derrière, le nez en l'air. À cette vision, mû par une impulsion, l'homme s'approche son trophée à la main, prêt à poser sa question :

  • Excusez-moi de vous déranger ? Vous n'auriez pas perdu cela, sans indiscrétion ?

Surprise autant qu'embarrassée, la femme porte la main à son oreille, geste qui apporte réponse à la question posée. Accueillant l'homme avec détachement, elle se lève et lui rétorque avec amusement :

  • Je ne suis pas Cendrillon ni vous le Prince Charmant, mais je ne peux que vous adresser mes remerciements. Vous travaillez ici ? Je ne vous avais jamais vu auparavant.

Il n'est soudain plus besoin de trésor ni de s'enfuir au dehors, dans cette rencontre qui vaut de l'or ; engageant la conversation à l'unisson, l'homme et la femme tissent mot après mot la trame précieuse qui ouvre à une aventure fabuleuse, celle d'une vie heureuse.


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