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Sous la pluie


Sous la pluie - www.laurenthellot.fr

D'où que l'on regarde, les gouttes tombent en hallebardes, drues, denses, transformant le paysage en une herse immense. Il n'est pas difficile de se conforter dans l'idée qu'il ne faut surtout pas bouger, à moins de vouloir finir trempé et essoré. Quels que soient les projets que l'on avait envisagés, il ne peut plus être question que de les accomplir avec ciré et bottes aux pieds, dans des mares disséminées et sous un ciel plombé.

À contempler le rigoles d'eau qui dévalent du toit, dans des cascades qui n'existaient pas jusque-là, il ne fait plus de doute que le déluge a débuté et qu'il emporte tout ce qui n'est pas bien arrimé, préparé à subir les assauts de ces vagues que les cieux s'empressent de déverser, comme s'ils n'en pouvaient plus de contenir tous ces flots qui ne font que les embarrasser, alors que le monde a besoin d'être revivifié.

La densité de ces trombes ne laisse pas de surprendre ceux et celles qui espéraient pouvoir se détendre sous les rayons d'un soleil doux et tendre. De lumière et de chaleur, il n'en est plus question, dans aucune direction, tant l'humidité et la grisaille ont pris tout l'espace qui s'offrait pour que l'on se prélasse, envahissant l'ensemble du paysage, noyant et effaçant toutes les traces, au point de dissoudre silhouettes et visages.

Dans cette atmosphère de désespoir et de guerre, il ne reste plus qu'à envisager de s’immobiliser jusqu’à ce que toutes ces eaux soient absorbées par la Terre, s'en nourrissant, s'en gorgeant, s'en irriguant, enfin au centre de ses seules priorités, sans plus d'humains pour l'assécher ou la déranger, libre de jouer avec les éléments pour s'en saisir et s'en féconder.

Au creux des maisons et des jardins, il n'est que lamentations et chagrin de ne plus ainsi être à même de batifoler dans ce perpétuel été, cet état de nirvana irréel où l'existence ne pourrait se vivre que sous le soleil, à se dorer la peau, à s'adorer de bas en haut, à se révérer et célébrer combien on est beau, au point d'oublier que si cela devait durer, l'on finirait ainsi qu'une vieille momie desséchée.

Et les gouttes ne cessent de tomber, invraisemblable petite armée dont le nombre et la densité ne cessent d'augmenter, comme si l'une appelait l'autre, qui elle-même sollicitait aussitôt toute une batterie de volontaires spontanées, désireuses de s'émanciper et s'épancher de ces brumes où elles ne sont que vaporisées, pour enfin prendre forme et dimension, avant de s'élancer à l'assaut de ces paysages à envelopper.

Vents et bourrasques se joignent à l'unisson pour participer à la parade et rendre indésirable toute tentative d'expédition, alliés joueurs et perturbateurs dont l'unique préoccupation est d'ébouriffer tous ceux et celles qui oseront ne pas rester à l'intérieur de leurs maisons, afin de leur rappeler la nécessité qu'eux aussi, cette fois, laissent la place à d'autres éléments que l'humanité pour que le monde puisse se régénérer.

La succession des grains et des ondées n'offre aucun répit pour quiconque ne voudrait pas être mouillé, ne désirerait pas ressembler à une serpillère trempée, à peine le nez passé le seuil de la porte d'entrée. Il ne s'agit pas d'une sélection ni d'une interdiction, mais bien d'une invitation à demeurer sur son canapé, non pour se prostrer ou se protéger, au contraire changer enfin de rythme et écouter la musique de cette pluie qui n'en finit pas de chanter.

Au dehors, il y a certes quelques irréductibles qui ne veulent rien entendre de cette proposition tangible, sautant dans toutes les flaques et tous les fossés, pressés de voir cette eau jaillir et rebondir de tous les côtés, en autant de geysers improvisés qui transforment le moindre coin d'herbe en fontaine illimitée, spontanée, explosive une fois que l'on y a bondi au milieu, les deux pieds serrés.

Cette alternance de calme imposé et de ruissellement apaisé diffuse dans tout l'environnement un mélange de dépit et d'étonnement, de comprendre peut-être que certaines frustrations ont un effet bienfaisant, qu'il n'est pas nécessaire de courir dans toutes les directions pour se sentir vivant, que se protéger de ce qui ne pourrait conduire qu'à un résultat dégoulinant conduit ainsi à profiter du simple présent.

Du voile d'eau et de brume qui recouvre tout l'horizon, ne se diffuse ainsi plus le moindre son, comme si une sourdine avait été mise sur toutes nos perceptions, en une ouate générale qui atténue tout ce qui nous heurte et nous fait mal, occasion unique pour écouter enfin le bruit de notre cœur qui bat la chamade, heureux et joyeux de ne plus avoir à supporter nos cavalcades.

Cette pluie ne devient d'un coup plus l'ennemi, mais celle qui nous permet de penser à nous, de considérer nos vies, sans plus courir partout, de prendre le temps d'un répit dans ce monde de fous où l'énergie est forcément celle qui brûle tout, alors que cette chaleur, cette lumière ne sont rien sans ce contre-jour qui contraste avec la matière, rend tout contour flou, invite au tendre et au doux.

De sentir soudain qu'il n'est plus de tristesse ni de frustration, mais l'apaisement de toutes nos émotions par cette eau qui se diffuse dans toutes les directions est à la fois un soulagement et une bénédiction, une opportunité remarquable pour s'ouvrir à l’équilibre de notre condition, entre joie et larmes sans interruption, parce que nous ne savons pas encore comment arriver à une émancipation saine et sereine face à nos sempiternelles hésitations.

Et lorsque les dernières gouttes se laissent glisser de la rambarde d'un balcon, ce n'est pas l'euphorie ni une quelconque jubilation qui nous gagne, de se dire que maintenant vient la libération, mais bien l’apaisement d'avoir accueilli cet aléa comme une bénédiction, la chance d'une pause complice dans notre mutation, afin qu'elle ne devienne jamais un cheminement sans direction, mais bien la grâce d'une bienveillante régénération .




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