Sursaut
La lumière qui traverse la baie vitrée semble métamorphoser la matière pour la magnifier. Chaque grain de poussière se transforme en danseuse au sein de l'air animé. Chaque couleur se met à vibrer comme si elle se réveillait. Chaque son ressemble à un chant qu’accompagnerait la partition proposée. Dans sa danse avec les quelques nuages, le soleil s'amuse à se déguiser en rayons flamboyants ou en cotonneux duvet, tour à tour dense ou diffusant, à la hauteur de la puissance qu'il s'autorise à diffuser. Ce n'est plus ni l'hiver ni le printemps, mais une saison qui n'a jamais existé, en ces temps où le monde a décidé de se réinventer.
Dans la pièce où il s'est posé, le jeune homme assiste à ce ballet entre l'ombre et la clarté ; spectateur d'un échange où il oscille entre gros pull et gilet léger. La propension qu'il a de préférer la passivité ne cadre pas avec cet environnement qui ne cesse de l'interpeler, lui envoyant tour à tour de la joie ou de la sérénité, pour qu'il s'en amuse ou trouve la paix. Face à ce ciel qui lui renvoie la gaieté, il devient de plus en plus difficile de l'ignorer et de rester prostré au sein de cet intérieur qui n'en finit plus de l'isoler. À voir ainsi la lumière fluctuer, il est évident que l'instant est à bouger.
À l'extérieur, la vie paraît totalement désorientée face à ces volte-face qui ne cessent de se succéder. Un temps pulsante, un temps apaisante, l'ambiance continue de varier, comme s'il n'était pas encore question de se stabiliser et que le mouvement ainsi créé était la base d'un nouvel élan en train de se manifester. Des bourgeons sortent de sous la terre trempée, du vert se manifeste sur les branches desséchées, en un message que tout est perturbé, à la façon de ce soleil qui réchauffe ainsi qu'en été, facétieux lumignon qui illuminerait une soirée comme une pleine journée.
Bien que conscient de toutes ces anomalies, le jeune homme ne se décide pas à prendre le pli, à accompagner le climat général tel qu'il est, puisqu'il ne peut pas le changer. Il reste là à contempler ce spectacle comme à un ballet, en spectateur qui devrait pourtant s'impliquer, non parce que l'obligation lui est posée, mais bien parce que l'envie commence à monter. À ne pas vouloir prendre part à cette activité, le jeune homme s'isole et ne risque pas d'avancer, certes maître en son royaume protégé, mais loin de toute vie et de tout contact qui pourrait se créer.
Dehors, la nature a pris son parti de se laisser aller, sans craindre ni gel ni froid qui pourrait se représenter, en une inconscience que, de toute façon, seul le présent saurait exister, demain n'étant pour elle que la construction d'un esprit dérangé ; ainsi, s'il s'agit de revenir aux frimas qui n'auraient jamais dû cesser, il aura au moins été l'occasion de s'amuser. Alors, elle continue de se baigner dans les rayons du soleil qui ne cesse de monter, inondant de douceur et de tiédeur l'atmosphère tout entière. Que les nuages restent ou partent, qu'ils se mettent à déverser la pluie qui aurait dû tomber, qu'importe, du moment que le changement n'arrête pas de se manifester !
De plus en plus perplexe face à ces expressions vitales insensées, le jeune homme se décide enfin à ouvrir la baie vitrée, pour aussitôt être assailli d'émotions contradictoires, du fait la douceur qui l'enveloppe de toute part, en un printemps qui déboulerait sans crier gare ; mais il n'y a aucune feuille sur les arbres, le sol est vide de couleurs et de fleurs, tout paraît de plus en plus bizarre à qui voudrait définir la saison que l'on est en train de traverser. Si l'on se réfère au calendrier cependant, tout ceci ne devrait pas exister, comme si la Terre avait décidé de vivre au rythme des humains qui la sillonne sans arrêt, de manière intensive et sans respect. Tout ce qui l'entoure est à la fois léger et lourd, dans la survenance de cette sensation d’insouciance, dans sa concrétisation, avec l'intuition que quelque chose ne tourne pas rond.
Un rouge-gorge passe ainsi qu'une comète, se posant juste sur le rebord d'une fenêtre, examinant avec un regard facétieux ce bipède qui ouvre de grands yeux. Il ne lui est pas courant d'en approcher un en tant que tel, plutôt habitué à le fuir à tire d'ailes, mais celui-ci a l'air tellement ahuri qu'il en est touchant dans sa posture transie. À l'examiner ainsi, il ne fait aucun doute que le questionnement est permis sur le fait de savoir si cet humain a bien tous ses esprits, vu la façon dont il scrute le moindre brin d'herbe qui oscille comme s'il s'agissait de magie. D'un trille facétieux, l'oiseau attire vers lui toute l'attention vertigineuse de ce jeune homme qui s'en ébaudit, de sa vivacité, de sa légèreté, de sa frivolité, pour cet animal qui est pourtant aux premières loges de ces bouleversements annoncés.
Ainsi distrait par ce volatile qui s'en vient le titiller, le jeune homme reprend pied dans la réalité, dans son corps, dans cet air qu'il prend conscience de respirer, dans la chaleur des rayons du soleil qui effleurent sa peau pour la réchauffer. Il n'est plus ce spécimen coupé du monde derrière son écran ; il devient partie prenante de son environnement, interagissant, bousculant, provoquant, mais par le simple fait d'exister, et non par les difficultés qu'il va créer. À observer cet oiseau qui à l'air de se moquer, le jeune homme réalise à quel point il s'était enferré dans un monde qui n'avait plus de rapport à l'extérieur dont il s'était éloigné. Que le climat lui paraisse aujourd'hui à ce point décalé est pourtant ce qui doit le rassurer, car cela démontre qu'il y est encore connecté, en direct, même s'il reste derrière une fenêtre, par ce corps qu'il oublie en ne lui laissant que des miettes, de sensations, d'émotions, ne passant plus que par sa tête en toutes saisons.
Les nuages ont choisi de se dissiper, donnant l'impression d'avoir abdiqué. Le soleil prend toute la place qui lui est offerte, sans hésiter, baignant de sa lumière toute l'humanité. Sur sa terrasse, le jeune homme n'est pas rentré ; il est resté à se gorger d'odeurs, de saveurs, de couleurs, quel que soit le temps qui est annoncé. Il ne lui importe plus le jour ni l'heure, mais une joie simple et étonnée : celle d'être enfin lui, de la tête aux pieds. Et tandis qu'il écoute les vocalises de ce rouge-gorge qui s'est mis à chanter, il se dit qu'il est temps qu'il fasse lui aussi entendre sa voix, pour pleinement exister.
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