Un chant d'oiseau
Dernière mise à jour : 19 juil. 2023
Le souffle du vent soulève avec légèreté les voilages qui bordent la fenêtre, en danse colorée invitant à la fête. L'air qui entre dans la pièce brasse et libère les tensions et les poisons délétères que d'intenses émotions ont agglomérées, en un dense filet dont les mailles enserrent la tête. Les mouvements ainsi générés allègent et apaisent les choses et les êtres, donnant à l'endroit une ambiance où l'on peut se reposer et se remettre, des événements passés, des ressentiments que l'on aurait gardés, des doutes qui pourraient encore nous habiter. La grâce de ce simple cadeau naturel permet l'avènement d'une énergie toute nouvelle, de celle qui ouvre à des possibilités jusque-là insoupçonnées.
Sur le lit encore défait, une sacoche de cuir, quelques effets, indices d'envies en devenir et de futurs projets. Les rayons du soleil qui inondent de lumière les draps froissés donnent l'impression que chacun de ces éléments se régénère par le miracle de cette douce chaleur projetée, insufflant les idées de facultés qui n'avaient pas encore été envisagées.
Si l'on perçoit de l'extérieur les bruissements de l’activité du monde en action, dans cet endroit précis, pour le moment, il n'est pris aucune direction. Ce n'est pas faute d'envies ni d'intentions, mais le simple temps que soit donnée l'impulsion, comme un élan irrépressible qui initiera l'accélération après laquelle plus un retour ne sera possible, du fait de la direction empruntée, comme une libération. Il ne s'agit pas de peurs, de regrets ou d'hésitations, mais bien de reprendre son souffle avant que ne s'intensifie la respiration. Ce qui s'annonce sera sans commune mesure avec ce qui aurait pu naître de réflexions, au lieu de le confier à l’imagination.
Le bruit d'un tracteur se détache dans le lointain, le son de son moteur tranchant avec les babillages indistincts des arbres et de leurs feuilles qui habillent l'ambiance de ce matin. Si la température est encore pondérée, il ne fait pas de doute que la journée s'annonce aussi chaude que dans un mois d'été. Les prémices de ce ciel brûlant apparaissent déjà dans les ondes troubles qui se manifestent sur les toits avoisinants, en de presque vapeurs d'un bain bouillant. Si à cette heure, il fait encore bon, le cours du jour se déployant, il sera bientôt temps de demeurer à l'ombre de frondaisons, afin de ne pas subir les affres de la transpiration.
Dans la maison, une sonnerie retentit, en signal qu'il est l'heure de se lever pour ceux qui seraient encore endormis, en dépit de la rumeur qui monte de tous côtés, gage que chacun a entrepris de se mettre en mouvement, sans attendre ce rappel réitéré. Le son finit d'ailleurs par s’éteindre de lui-même, faute d'intervenant disponible à l'écouter, laissant de nouveau place au rythme naturel qu'il interrompait. Et c'est de la cuisine que des échos prennent le relais, musique variée de vaisselle rangée, de plats préparés, de courses organisées.
Une voix se fait entendre, mélange d'exclamations et d'affirmation, sans que puisse vraiment se détacher la trame d'une conversation, comme si l'interlocuteur participait d'une répétition, sans avoir bien compris le rôle qu'il occupait dans cette maison. L'échange dure quelques instants, avant de s'éteindre dans un bougonnement. Si tous semblent debout à présent, il n'est pas certain que cette démonstration confirme que chacun est lui-même maintenant, et non encore empêtré dans les brumes des rêves dont la nuit a été chargée.
Les mélodies qu'une radio diffuse soudain habillent l'espace de chants et de danses qui ouvrent à une tout autre ambiance, où la joie et le plaisir équilibrent ce qu'il resterait de résistance pour que les heures qui s'annoncent soient bonheur et apaisement, et non pas frustration et souffrance. Les morceaux qui s'enchaînent dessinent la trame sereine d'un nouveau canevas de l'existence, où peut enfin se créer ce que l'on souhaitait, sans plus attendre que l'on y soit autorisé, sans plus prétendre que l'on n'y est pas prêt, sans plus se méprendre sur la teneur de que l'on vivait. Il n'est plus question de patienter pour expérimenter les envies que l'on sent monter, mais au contraire de se laisser porter par elle, et voir jusqu'où elles vont nous emmener, au-delà de ce que l'on espérait, avec grâce et légèreté, vers un ailleurs que nous aurons autorisé.
Bien que le soleil se soit levé dans son cycle prédéterminé, bien qu’hommes et femmes s'agitent de tous côtés, bien que le monde semble ne pas avoir changé, ce jour n'est en rien comparable à ceux qui l'ont précédé, en une métamorphose que personne n'attendait, parce que le fruit de toutes les années qui ont précédé, parce l'apaisement des pleurs et des cris que l'on a versés, parce que la concrétisation de tout ce que l'on a tenté. L'atmosphère qui règne à présent porte en elle des graines de paix et de soulagement, où tout ce qui germera le fera sans violence ni hurlement, dans un bel et généreux enfantement. Quels que soient les projets que l'on initie, ils prendront place comme s'il en avait toujours été ainsi, dans une fluidité de création et d'invention que l'on n'avait pas connue jusqu'ici, au point de douter de cette évidente facilité, de mettre en question cette vérité, de se demander de quelle manière cela a pu arriver. Il n'est pourtant rien de nouveau dans ce qui est en train de se passer, la simple conséquence de toutes les actions que l'on a menées, sans jamais renoncer, sans jamais se renier, sans jamais s'égarer. L'élan dont la course se pose aujourd'hui a pris sa source il y a des décennies, quand notre existence n'était alors que le bourgeon de la fleur qui naît sous nos yeux ébahis ; mais il n'est plus besoin de courir, de se battre, pour conserver un semblant de sourire malgré les épreuves qui n'ont cessé de s'abattre. Ce matin qui naît est le début de ce que l'on espérait : la vie que l'on rêvait, dans le partage et la fraternité.
Et tandis qu'un chant d'oiseau retentit, repris en chœur par la multitude de ce qui vit, la paix emplit enfin notre cœur et esprit, à l'unisson de notre puissance, de notre confiance, en l'évidence d'avoir trouvé le chemin que nous cherchions jusqu'ici.
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