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Croyances


Croyances - Laurent Hellot

Du fond de son lit, le petit garçon observe les ombres que la lumière de la Lune projette au creux de la nuit, sur son plafond, sur la chaise où sont posés ses habits. Telles des créatures de fantasmagories, elles s'agitent en tous sens, sans un bruit, déployant dans la chambre leurs grotesques représentations et toutes leurs panoplies.

De sous ses draps, le petit garçon ne sait pas quoi faire face à ces envahisseurs-là. S'il a l'habitude des combats, contre des chevaliers, contre des sorciers ou toute autre créature qu'il aurait convoquée, celles-là, il ne les a pas invitées et elles prennent à présent une place qu'il n'apprécie pas de supporter.

Lui en a connu des nuits compliquées, peuplées de cauchemars et de rêves éveillés. La plupart du temps, tout cela disparaissait dès que le jour se levait. Le problème avec ce qui est en train de survenir est qu'il n'a plus aucune idée de quand ni comment le soleil peut encore venir, tant il bataille avec ces épouvantails semble oblitérer tout son avenir, comme une menace qu'il doit circonscrire.

Ces événements nocturnes inattendus se sont imposés dès que la soirée a commencé, en une étrange sarabande qui n'a ensuite plus jamais cessé de danse, comme si ces ectoplasmes noirs et gris n'attendaient plus qu'un signal pour commencer, en une silencieuse et insidieuse armée qui se serait installée afin d'envahir tout ce qui serait à portée.

Face à ces créatures, l'enfant n'est plus très sûr, de ce qui est de l'ordre du cauchemar ou de la réalité, même s'il peut le sentir sans hésiter: il est parfaitement éveillé. Ce qu'il ne comprend pas pour le moment est l'origine de ce déferlement. Certaines nuits antérieures, c’était lui le maître et le moteur, inventeur de monstres et de spécimens que son imagination terrassait ensuite sans peine.

Sauf qu'en cette soirée, ce qui grouille de tous les côtés n'est pas de l'ordre de sa pensée. Les formes qu'il perçoit, les regards perçants qui le scrutent de haut en bas, tout cet aréopage est sortie d'une dimension où il n'a pas déjà fait le voyage, un endroit sans nul doute où les cataclysmes se déchaînent sous la voute d'un nouveau ciel, loin de cette Terre traditionnelle.

Quelle que soit la cause de tout cela, l'enfant a une certitude qui ne vacille pas : il est hors de question que la nuit perdure comme cela, ou même qu'il s'en prenne à lui de quelque manière que ce soit. Ce qu'il n'a pas encore défini est la façon dont il va mettre un terme à cette fantasmagorie, tant le nombre de ses adversaires obscures paraît déborder la chambre et ses murs.

Le plus étrange dans son ressenti reste que l'enfant n'a pas peur pour lui. Les abominations auxquelles il fait face débordent pourtant de tous les côtés de son lit, mais par une étonnante intuition, il sait qu'il est à la fois le problème et la solution, et que rien ne se fera sans lui, ce pour quoi il est inutile à ce stade d'appeler son papy ou sa mamie, eux qui sont depuis longtemps endormis.

Quand il est venu pour les vacances, il a vu cela comme une chance, de se faire dorloter, d'explorer aussi un pan de son passé, de celui que garde avec respect des aïeux qui il allait séjourner. Il n'était jamais resté seul jusque-là avec son grand-père et sa grand-mère, mais ses parents avaient jugé cette fois qu'il était prêt à franchir le pas, sans plus de peur ni de doute sur l'idée d'être abandonné.

Et de fait, les premiers jours ont débuté telle une fête, lui chouchouté et choyé comme jamais, avec encore toute une maison et un jardin à explorer, accompagné de deux guides attentionnés, bien qu'un peu rouillés face à toute l'énergie qu'il déployait. Le temps d'appréhender l'espace et sa place, et voilà que les journées défilaient, entre surprises et envies à partager ;

Mais voilà, ces dernières heures, il a très clairement senti un pincement dans son cœur, comme si quelque chose lui était imposé qu'il n'avait pas décidé, comme un poids que quelqu'un aurait déposé là, à charge pour lui de s'en dépatouiller durant les prochaines années, sorte de cadeau malséant qui occupe une place bien en dedans, chez lui qui ne l'a pas accepté.

Puis est venue l'heure d'aller se coucher, entre câlins et souhaits de jolis rêves à explorer ; et dès la lumière éteinte, les spectres ont débarqué, avides de connaître celui qui serait leur nouveau porteur de mémoires d'un passé dévoyé, offrant au petit garçon le spectacle d'un débarquement de toute une armée de souvenirs et d'histoires qu'il n'a jamais expérimentées, mais dont sa généalogie est porteuse comme d'un fardeau sanctifié.

Sauf que le petit garçon n'a pas du tout envie de devenir le dépositaire de tous ces secrets chuchotés par des générations en arrière. Lui arrive dans cette vie avec ces propres besoins et ses nouvelles envies, et il est hors de question qu'il supporte le poids des fautes de ses ancêtres avant lui, quelles qu'aient été leurs intentions lorsqu'elles se sont concrétisées durant des décennies.

Conscient cette fois de ce qui se joue là, le petit garçon s'arme de son énergie manifeste et prépare sa voix, tel un instrument céleste. Pour être franc, il ne sait pas encore bien ce qu'il va dire, mais une chose est sûre pour lui : il est hors de question de se laisser envahir et ces créatures ne sont pas de celles que la lumière va faire fuir. Il est besoin d'une volonté claire et d'une expression sans hésitation.

Le petit garçon se prépare à sa mission, observant une dernière fois ces spectres et leurs contorsions, tous porteurs d'un récit épouvantable, où l'humain est faible et misérable, où la lâcheté et la peur ont submergé les cœurs, où la fuite et la honte étaient les seules issues moteur, au sein desquelles l'amour et le partage ont été enterrés au profit d'un égoïsme tranchant et d'une totale médiocrité.

Mais ils ont assez fait danser les générations, comme des marionnettes dans une pantomime sans nom ; il est temps de mettre un terme à ces obligations, à ce soit-disant respect de principes sanctuarisés que tous les enfants porteront, au nom de la perduration de la lignée, gangrénée de ces turpitudes toujours renouvelées, fardeau insurmontable d'une génétique misérable.

Le petit garçon regarde la Lune, son unique partenaire face à cette mission, elle qui éclaire ce qui est caché et met en lumière les secrets. Dans un sourire espiègle libératoire, il lui dédit cette annihilation de l'obscurité et du désespoir que ses parents et tous leurs ascendants ont portés, et d'une voix claire, il dit :


«  Je suis libre et libéré de vos secrets.

J'explore la vie que j'ai envie d'expérimenter »


et il s'endort aussitôt, tandis que la pièce se met à rayonner, annihilant tout ce qui l'assombrissait et la tourmentait.


Quand le matin vient, c'est par un chant d'oiseau que le petit garçon comprend qu'il fait déjà beau. Il se jette de son lit, saisit ses habits et dévale les escaliers, intrigué que ses grands-parents n'aient pas bougé ; il les trouve d'ailleurs encore en train de ronfler, au point qu'il décide d'ouvrir les volets ; et les premiers mots qu'ils prononcent alors, en simultané font pétiller toute la maisonnée : « C'est drôle, je me sens tout léger ».

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