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La sortie

La sortie - Laurent Hellot

« Cela ne devrait pourtant pas être si compliqué », se dit l'invité en regardant la porte d'entrée. Se faufiler doucement, sans insister. Saluer l'air de rien ce que l'on pourrait croiser. Et surtout, surtout, ne pas croiser le regard de la mariée.

Depuis qu'il est arrivé à la réception, l'invité se sent complètement en décalé, en observation d'une étrange cérémonie sans réflexion, vide de sens et de considération, si ce n'est celle de la répétition : d'un rituel, identique et factuel, de génération en génération, pour qu'Elle soit la plus belle, cette femme que l'on conduit à l'autel, en un abandon de ses illusions et de sa vie réelle, dans la plus parfaite folie que le bonheur serait garanti par cette parade de vœux forcément éternels. Et lui les observe tous, ces autres qui savent pertinemment que cela ne fonctionne pas de la sorte, que les statistiques démontrent une catastrophe à prévoir à peine franchie la porte, de la chambre à coucher, de la prison dorée, de l'église dont les cloches se mettent à sonner. Qui lui dira, à cette jeune femme, que sa destinée n'est pas de reproduire ce sacre périmé où elle joue à merveille le rôle de la future sacrifiée, de ses ambitions, de ses émotions, de ses aspirations ? Non pas qu'elle épouse un dangereux sociopathe, un malade qui la baladera à quatre pattes comme un trophée dès la signature apposée ; mais lui non plus n'y peut pas grand-chose, une fois fané le lit de pétales de roses sur lequel ils sont en train d'avancer, ébahis et heureux d'être le centre de cette journée. Une fois le devoir accompli, de s'unir, de se reproduire, de s'installer, que leur restera-t-il à tous les deux, s'ils n'ont pas pris le temps de se connaître, de se rencontrer, de comprendre ce qui les lie, mais peut aussi les séparer ? La stupéfaction de se retrouver enchaîner à un parfait étranger dans son propre foyer.

Tandis qu'il louvoie vers son objectif affiché, cette issue par laquelle il va s'en aller sans se retourner, l'invité observe encore les autres convives, un peu trop alcoolisés, un peu trop apprêtés, un peu trop intéressés à oublier au plus vite la parodie qui se joue ici, pour prendre tout ce qui est offert de bon cœur, et s'en gaver afin de ne surtout pas avoir à penser, à prodiguer de quelconques conseils qui deviendront de plus en plus inappropriés au fur et à mesure qu'ils s'enfonceront dans la soirée, comme dans une nuit dont on ne revient jamais. On ne peut pas les blâmer de vouloir de nouveau prendre part à ce rêve survendu, celui d'une union idéale qui constituerait un bouclier contre ce monde infernal où exister n'est plus que s'occuper pour ignorer la solitude qui suinte de tous côtés.

Ça y est ! L'invité a atteint le sas de sortie, aux portes des jardins de ce château loué pour la nuit, histoire de prendre un part à ces fantasmes de richesses aussi. Il ne lui reste plus qu'à rejoindre sa voiture et s’enfuir d'ici, en tâchant de ne pas prendre les paris sur la longévité du couple de ces deux tourteaux-ci. Mais alors qu'il se retourne une dernière fois, pour saluer de toute sa compassion ces mariés qui ne savent pas encore dans quel enfer ils ont plongé, il heurte de plein fouet une silhouette qu'il n'a pas vue arriver.


  • Si c'est votre manière de faire du rentre-dedans, vous risquez plus d'assommer que d'intriguer, laissez-moi vous dire la vérité.


La femme qui prononce ces mots darde un regard amusé sur l'invité qui ne s'attendait pas à une telle entrée en matière, spécialement alors qu'il entendait partir ventre à terre.


  • Si c'est votre manière de vous faire remarquer, vous risquez plus des multiples bleus que des marques d'intérêt, laissez-moi vous l'annoncer, réplique-t-il sans hésiter.


S'ensuit un silence amusé de part et d'autre, dans une joute paisible et polie, afin de jauger si l'autre vaut la peine de persévérer. Et c'est la femme qui prend l'initiative de saisir le bras de l'invité, en un péremptoire « Allons marcher ! », sans que celui-ci ne ressente le besoin de résister ; il ne la connaît pas, ne l'a jamais croisée, mais peut d'offrir le luxe d'une promenade improvisée.

La nuit est d'une fraîcheur appropriée aux rapprochements pour se réchauffer ; avec sa robe légère, ses bras révélés, la femme ne manifeste pourtant aucune expression de frilosité, marchant au contraire d'un pas nonchalant, sans volonté de discuter. Somme toute, le spécimen d'homme sur lequel elle vient de tomber semble se suffire à lui-même, sans chercher ni une mère ni un commère, ce qui est assez inattendu dans ce qu'elle a jusqu'ici expérimenté.

Dans cette soirée au parfum d'étrangeté, l'invité éprouve à sa grande surprise l'envie de se laisser aller, de ne pas analyser, de ne pas expliciter, de ne pas parader, ce qui est assez inédit dans les rencontres qu'il a faites. Le son de la musique au loin donne en outre un caractère d'irréalité à cette balade improvisée, un cadeau précieux pour lui qui se targue d'avoir tout exploré.


La femme cesse d'avancer, à l'instant même où l'invité repère un banc des plus appropriés.


  • Vous êtes d'accord : on peut prendre le temps de parler, avant de s'embrasser ?

  • Tant que vous ne me demandez pas en mariage, je suis prêt à tout vous accorder.


Et les deux de se poser sous le ciel étoilé, sans promesse d'engagement, sans vœux sacrés, juste deux êtres humains qui vont découvrir ensemble s'ils ont envie de continuer à cheminer côte à côte, parce que la vie n'a pas à être cette répétition programmée et que chacun est libre de choisir la voie où il se sentira libre d'exister.


Et quand le soleil se lève enfin, la femme et l'invité sont encore en train de rire et d'échanger, en ce jour de mariage où la vraie union célébrée n'est pas celle que l'on attendait.

 
 
 

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