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Jour et nuit


Jour et nuit - Laurent Hellot

Assis sur son bac, le vieil homme contemple l'astre bleu et blanc, cette Lune au firmament. Dans ce silence nocturne, l'on ne distingue pas bien s'il monologue de façon véhémente ou s'il dort avec la mâchoire pendante. La canne sur laquelle il s'appuie reste cependant ferme et droite, et si lui ne bouge pas, elle paraît rythmer un pas, une cadence, comme une incantation à la douceur ou à la violence.

Ces deux ont l'air de bien se connaître, comme d'anciens voisins qui s'observeraient par la fenêtre. Pas un ne semble prêt à saluer l'autre pourtant, et pas un ne baisse le regard nonobstant. Ce face-à-face navigue entre la scrutation et la confrontation, même si chacun d'eux paraît hors de proportions. Que pourrait donc bien faire ce vieil homme à cet astre qui fascine les astronomes ?

Le cri d'une chouette hulotte vient animer l'ambiance, suivi de tout un fouissement, comme si les haies alentour s'éveillaient d'une foultitude d'habitants. L'homme et la Lune ne sont plus seuls au monde, ils reprennent leur place dans la danse de la vie et sa ronde. Un ballet de chauve-souris vient d'ailleurs strier la nuit, dessinant au travers du ciel étoilé un canevas d'ombres et de trajectoires brisées.

Dans un geste théâtral, l'homme lève un bras et lance un anathème magistral, un éclair rouge qui perfore la canopée céleste jusqu'à exploser d'éclats incandescents dans le firmament. La Lune n'est plus immaculée maintenant, mais souillée de tâches rouge sang, comme autant de furieux et improbable volcans qui auraient soudain jailli de son centre que l'on croyait éteint depuis plus de mille ans.

En écho de cet acte sacrilège, une onde blanche surgit, vibre et s'amplifie de l'astre qui illumine la nuit. Ainsi qu'un arc bandé, un trait fulgurant et brillant pulse et file droit vers le vieil homme qui choisit de ne pas bouger – et sa canne explose soudain en morceaux carbonisés, tandis que lui chancelle et manque de tomber, se rattrapant in extremis au banc sur lequel vacille durant de longs instants, le tant de se calmer.

Le silence est revenu. Lune et homme paraissent avoir décidé d'une trêve dans la guerre qu'ils se sont déclarée. Dans l'univers autour, toutes les créatures qui s'y agitaient ont choisi de s'arrêter, le temps de regarder qui des deux va reprendre les hostilités, dans ce qui n'est pourtant qu'un infime phénomène à l'échelle du cosmos entier, car il n'est pas courant qu'un magicien et une planète décident de se confronter.

C'est un orbe orange qui se concrétise cette fois devant l'homme, entre ses doigts. Petit à petit, il la fait tourner et grandir, jusqu'au point où un nouveau soleil paraît luire ; et il la propulse d'un geste vers la surface de cet astre qu'il déteste, dans une incantation de rage et de furie manifeste. Dans ses yeux, des éclairs étincelants accompagnent la montée de ce cataclysme ambulant vers le firmament.

Le choc est démesuré, inconvenant. Sous l'impact, la Lune donne l'impression de tourner sur elle-même dans un drôle de mouvement, comme si un tourbillon l'emportait d'un coup, alors qu'il n'y a aucun vent dans ce vide immensément grand ; mais elle finit par se stabiliser, même si son axe de rotation donne le sentiment qu'elle est à présent désaxée, tandis qu'une balafre se matérialise sur son côté.

Galaxies, étoiles et astéroïdes cumulés, toutes attendent la répartie qui ne va pas manquer, au vu de ce camouflet ; et de fait, la réplique est dantesque, démesurée : un nuage de poussières gigantesques se concrétise, se densifie et plonge à une vitesse illimitée en direction de cet agresseur dont l'acte ne peut, ne doit pas resté impuni, au risque de perdre toute rationalité.

De son point de vue, il apparaît soudain au vieil homme que l'obscurité envahit tout ce qu'il connaît : les constellations s'éteignent d'un coup, la Lune elle-même disparaît comme dans un trou, et une terreur innommée se met à écraser tout être vivant sur cette Terre, dans une angoisse qui ne peut être explicitée, avec la sensation de se trouver au fond d'une mer sans plus de respiration.

Le tourbillon qui s'abat sur le paysage met l'horizon en fusion, à la manière d'une cataclysmique explosion, soulevant puis écrasant, sols, plantes, animaux et gens, pour les engloutir dans les tréfonds d'abîmes surgis de l'éternité, et les enterrer sans plus de ménagement. Le paradis terrestre a cessé d'exister et la Terre n'est plus qu'un caillou à la surface calcinée...

… sauf à un endroit où, au centre d'une bulle irisée, le vieil homme se tient debout, droit, les mains jointes comme s'il tenait un bouclier. Il ne lui faut pas longtemps pour changer de posture, et dans un geste dramatique, il écarte ses paumes, entre lesquelles se cristallise peu à peu un glaive magnifique, qu'il propulse dans une fulguration vers cet adversaire qui le toise en orbite.


La Lune est perforée de part en part et, dans une presque détonation, elle est pulvérisée dans toutes les directions.

L'homme s'écroule alors, hagard, à bout de force et d'émotion, au seuil d'une complète exhaustion


Dans l'Univers entier ne bruisse plus que la sidération : un astre et un homme se sont affrontés, et aucun des deux n'a gagné. Il faut se rendre à l'évidence, sans plus en douter :


l'homme recèle la puissance d'une étoile incarnée,

il l'a juste oublié.


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